En novembre 2020, J.M. a tenté de décapiter une cliente et une employée d’un grand magasin en scandant son dévouement au prophète Mahomet. Son procès s’ouvre fin août.
Lugano, mardi 24 novembre 2020. Une jeune femme de 28 ans monte au cinquième étage du magasin Manor, rayon ménage. De longs cheveux encadrent la frêle silhouette de J.M., revêtue entièrement de noir. Elle demande conseil à une vendeuse: lequel des couteaux à pain présentés sur les étalages est le plus tranchant? Elle choisit une lame dentelée de 21 cm.
Les événements qui suivent cette scène banale, transformée en quelques instants en film d’horreur, font l’objet d’un procès qui s’ouvrira le 29 août au Tribunal pénal fédéral (TPF) de Bellinzone. Le Ministère public de la Confédération (MPC) accuse J.M., entre autres, de tentatives répétées d’assassinat et de violation de l’article de la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaida» et «État islamique» et les organisations apparentées.
Si le Tribunal la reconnaît coupable, J.M. sera la deuxième femme condamnée pour infraction à la loi sur le terrorisme en Suisse. Selon le rapport 2021 d’Europol sur le terrorisme en Europe, la gent féminine représente seulement 13% des personnes suspectées d’appartenir à une mouvance djihadiste. J.M. est d’ailleurs l’unique femme à être accusée d’avoir commis un acte terroriste sur le continent en 2020, et la deuxième personne à être passée à l’acte en Suisse, après l’attentat meurtrier de Morges en septembre 2020.
À quelques millimètres de la mort
Retour à ce jour de novembre. Sa nouvelle acquisition en main, J.M. choisit au hasard C.S., une cliente du magasin lui tournant le dos. J.M. l’attaque par-derrière, lui bloque les deux bras avant de lui entailler le visage, puis profondément le cou et le menton. La blessure au cou s’étale sur dix centimètres et «s’arrête à quelques millimètres seulement des gros vaisseaux sanguins», manquant de peu une issue fatale, décrit l’acte d’accusation.
Sa victime est à présent à terre, mais J.M. s’acharne. C.S. tente de se protéger, subissant de nouvelles coupures aux bras, aux mains et aux poignets. La jeune Tessinoise laisse C.S. pour morte et fond sur une nouvelle proie, Y.C. Cette vendeuse a des réflexes qui lui sauvent la vie. Alors que la lame approche son visage, elle parvient à saisir les poignets de son agresseuse tandis que d’autres personnes accourent pour l’aider à la maîtriser. Y.C. s’en sort avec une blessure à la main. L’assaillante est immobilisée jusqu’à l’arrivée des policiers. C.S., elle, s’en sortira grâce aux premiers soins portés par les personnes venues la secourir.
«Faire sauter des synagogues et des églises»
Selon l’acte d’accusation, J.M. a hurlé plusieurs fois pendant ses attaques «Allahou Akbar», scandant sa volonté de «venger» le prophète Mahomet ainsi que «les musulmans discriminés par Emmanuel Macron». Le MPC estime que l’accusée, mue par des motifs extrémistes, a fait preuve d’une «brutalité inouïe» et d’un total «manque de scrupules». Raisons pour laquelle il a retenu l’accusation d’assassinat.
Le MPC s’appuie notamment sur les 2507 messages, photos et vidéos célébrant l’État islamique envoyés par la jeune femme à un homme sur Facebook pendant les quatre mois précédant les agressions. Elle y parle notamment de sa volonté de partir se marier en Syrie, d’apprendre à manier des armes et «de faire sauter des synagogues et des églises chrétiennes en Suisse.»
La jeune femme a des antécédents. En 2017, J.M. a été arrêtée à la frontière turque alors qu’elle tentait de rejoindre la Syrie pour se marier avec un combattant djihadiste. FedPol souligne que depuis son retour forcé en Suisse, elle «n’est plus apparue dans des dossiers liés au terrorisme». Les informations délivrées par la police fédérale révèlent également que J.M. souffrait alors de «troubles psychologiques» et qu’elle a été internée dans un institut psychiatrique après son rapatriement.
Terrorisme ou trouble mental?
Les avocats de l’accusée, Maîtres Daniele Iuliucci et Simone Creazzo, s’appuient justement sur l’état mental de leur cliente pour réfuter le motif terroriste. Contestant «l’absence particulière de scrupules» chez J.M., ils plaideront également pour une tentative d’homicide plutôt que d’assassinat.
«Pour nous, et contrairement aux titres parus dans la presse, on ne peut qualifier les agissements de l’accusée d’attentat terroriste vu son état mental au moment des faits.»
Maître Daniele Iuliucci, avocat de la défense
«Il n’y a aucun doute sur les faits objectifs qui caractérisent le crime commis par ma cliente, tant sur l’attaque survenue à Manor que sur les messages envoyés avant les événements, reconnaît Maître Iuliucci. En revanche, nous contestons les conclusions du MPC sur les aspects subjectifs, soit le motif du crime. Pour nous, et contrairement aux titres parus dans la presse, on ne peut qualifier les agissements de l’accusée d’attentat terroriste vu son état mental au moment des faits.»
Selon ses avocats, J.M. ne disposait pas alors de la capacité de discernement nécessaire pour avoir pleinement conscience de ses actes.
Responsabilité diminuée
L’expert psychiatre mandaté par le MPC a effectivement conclu à une responsabilité partiellement diminuée couplée d’un risque élevé de rechute. Le spécialiste estime que l’accusée a été mue tant par ses sympathies déclarées pour le djihadisme que «par d’autres facteurs» ayant pu influencer son comportement. Elle aurait ainsi été capable «d’évaluer le caractère illégal de ses propres actes, mais le mal dont elle souffre l’aurait empêchée de s’arrêter», conclut-il.
J.M. devra également répondre devant le TPF de l’accusation «d’exercice illicite répété de la prostitution». Elle aurait vendu ses charmes sur internet de 2017 à 2020, pour un gain d’environ 5000 francs par mois, sans le déclarer aux autorités. Une accusation surprenante pour une femme décrite comme radicalisée.