«Nous continuons inlassablement à signaler les provocations de M. Soral, commises depuis Lausanne, mais rien n’y fait», déplore Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD.
Égalité et Réconciliation, l’association du pamphlétaire antisémite désormais exilé à Lausanne, développe un cycle de «formations» à Genève.L’essayiste d’extrême droite Alain Soral, condamné en mai dernier à de la semi-prison en France pour provocation à la haine après avoir imputé aux juifs l’incendie de l’église de Notre-Dame à Paris, est-il en train de consolider son implantation en Suisse romande? Installé à Lausanne depuis l’automne 2019, le polémiste franco-suisse proche de Dieudonné est toujours très actif via son association Égalité et Réconciliation (E&R), site le plus fréquenté par la complosphère antisémite francophone. Sa popularité a encore été dopée par la crise sanitaire (3,71 millions de visites par mois en 2020, selon Conspiracy Watch). Mais cette viralité s’associe à des cours plus académiques, dont certains sont organisés à Genève, comme on peut le lire en ce moment sur E&R. Ces formations sont calées sur «l’année universitaire», et données par de «vrais intellectuels français», précise le flyer de promotion.
Genève figure ainsi aux côtés de Paris, Lyon, Bordeaux et Grenoble comme ville où sont distillées les «formations» d’Alain Soral et de ses proches, idéologiquement parlant. Les intéressés ont jusqu’au 10 septembre pour s’inscrire. Où ces formations genevoises ont-elles lieu exactement? Égalité et Réconciliation ne donne pas de renseignement avant l’inscription, laquelle exige la présentation d’une carte d’identité et des détails sur le profil de chaque étudiant. Contactée pour obtenir plus de détails, l’association d’Alain Soral n’a pas répondu à nos sollicitations.
Ce n’est pas la première année que Genève est présentée comme base de formation d’E&R. L’association a lancé ses cours en 2018, et la «région genevoise» figurait déjà dans la liste, avec un cours sur le droit canonique donné par Damien Viguier, avocat établi à Ferney-Voltaire et bénéficiant d’un bureau associé à Genève à l’adresse de l’avocat Pascal Junod.
Mais l’offre s’étoffe. Trois cours sont annoncés à Genève pour la prochaine «année académique», dont l’un est distillé par Soral lui-même, en visio, précise l’annonce. Son titre: «Sociologie profonde: de la tradition à la modernité», cours où il sera question de démonter les mécanismes d’une sociologie dite «officielle», «d’État», en opposition à une «vraie sociologie, profonde», dont Soral se veut le porte-parole. Damien Viguier, qui a souvent défendu Soral dans ses démêlés judiciaires en France et qui le représente en Suisse, est encore de la partie, avec un cours intitulé «Histoire et philosophie du droit». Il sera question «de la famille, de l’État, de l’Église et de la monnaie».
Contacté pour savoir quelles sont les motivations des étudiants à suivre son cours, Damien Viguier n’a pas voulu répondre à cette question. Il précise que cela fait quatre ans qu’il donne un cours à Genève dans le cadre des formations E&R. Lucien Cerise, autre compère de Soral, va s’atteler, lui, à donner une sorte de cours de survie face à ce qu’il appelle «l’ingénierie sociale».
Un cours sur la «manipulation des cerveaux»
Voyons d’un peu plus près de quoi il en retourne: «La dictature sanitaire qui s’est abattue sur nous en 2020 vient s’ajouter aux menaces mortelles causées par la «société ouverte». Comment allons-nous en sortir vivants?» peut-on lire dans la présentation du cours de Lucien Cerise annoncé à Genève.
«La reconquête politique des institutions est un point de passage obligé, mais auparavant, il faut déjà conquérir les cœurs et les esprits, c’est-à-dire travailler en amont l’opinion publique dans le cadre métapolitique d’une guérilla culturelle, informationnelle et mémétique (Memetic Warfare, cf. Alt-Right). Le cours sera composé d’exposés théoriques et d’exercices en ateliers pour se former individuellement et à plusieurs aux bonnes pratiques de prosélytisme, de rhétorique et de retournement de l’opinion d’autrui, sur les réseaux sociaux et dans les joutes verbales du quotidien, entre amis, au travail, en famille, etc.». Bref, un véritable outillage pour lutter contre la «pensée dominante», et plus encore…
Car Lucien Cerise, auteur d’un ouvrage intitulé «Neuro-pirates – réflexions sur l’ingénierie sociale» (2016), défend l’idée que les gouvernements cherchent, littéralement, à «pirater nos cerveaux» dans le but d’instaurer un Nouvel ordre mondial antidémocratique. Il est l’un des adeptes de Soral qui développe «le conspirationnisme le plus généralisé, notamment relatif aux sujets des techniques scientifiques et médicales qui peuvent contrôler les populations», note à son sujet Aurélien Montagner, auteur d’un mémoire de plus de 600 pages sur «le nationalisme conspirationniste soralien – une idéologie radicale et marginale de l’extrême droite française contemporaine».
Ce mémoire, publié en 2020, consacre un large chapitre aux contenus des formations d’E&R. Selon Aurélien Montagner, ce cycle de formation lancé par E&R en 2018 est très intéressant à étudier car il résume à lui seul les ressorts idéologiques de la pensée d’Alain Soral et de ses disciples.
Provocations depuis Lausanne
Alain Soral, de son vrai nom Alain Gérard Robert Guy Bonnet, s’est installé à Lausanne en octobre 2019, non sans cacher - il l’a dit dans une vidéo - que ce domicile suisse lui permet d’échapper à la prison en France. Condamné à de multiples reprises pour provocation ou incitation à la haine contre les juifs, négationniste affiché, Alain Soral est considéré comme un influent idéologue sur les réseaux sociaux francophones d’extrême droite. Alors autant dire que sa présence en Suisse romande et son activisme font réagir, comme notre journal le notait en mai dernier.
Lorsqu’il a pris ses quartiers à Lausanne en 2019, la section genevoise de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) avait exigé une surveillance étroite de ses activités. Et depuis son installation sur les rives du Léman, la Cicad (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), tout comme la Ville de Lausanne par la voix de Pierre-Antoine Hildbrand, municipal chargé de la Sécurité et de l’Économie, ont réclamé une intervention de la justice vaudoise. La raison: plusieurs provocations d’Alain Soral publiées sur Twitter, dont l’apologie de symboles nazis, et surtout la poursuite de sa propagande depuis Lausanne via le canal d’Égalité et Réconciliation. Jusqu’ici, la justice vaudoise n’est pas entrée en matière, arguant notamment que le for juridique d’E&R est en France. «Nous continuons inlassablement à signaler les provocations de M. Soral, commises depuis Lausanne, mais rien n’y fait», déplore Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad.