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Vingt ans après. Les historiens se penchent sur la suite du rapport Bergier


Mercredi 22 March 2023 - 03:54

Les volumes de la Commission d’enquête n’ont pas tout dit. Des cartons d’archives restent à ouvrir tandis que l’avenir de la recherche doit encore se dessiner.

Le professeur Jean-François Bergier ainsi que les membres de sa Commission l’ont déjà dit: le temps leur a manqué pour aller au bout de leurs recherches. Les cartons d’archives les plus importants, ceux contenant la correspondance entre UBS et ses principaux clients durant la Deuxième Guerre mondiale, n’ont été découverts que sur la fin de leur mandat. Autant de données inédites que les historiens n’ont pas forcément réussi à exploiter.

La Commission Bergier, ajoutait son président, a pu, en partant de plusieurs sources (accords de clearing et données douanières), cibler les entreprises helvétiques ayant le plus commercé avec l’Allemagne nazie jusqu’en 1945. Mais des secteurs entiers – en raison de la qualité des archives détectées et des priorités de l’équipe de chercheurs – n’ont pas pu bénéficier d’une attention poussée. On citera le secteur alimentaire — hormis Nestlé — et horloger.

Il reste donc des zones d’ombre sur le rôle de la Suisse à cette époque. Autant de pistes de recherche qui sont au menu de la journée d’études consacrée aux travaux de la commission organisée ce mercredi (lire encadré) à l’Université de Lausanne (UNIL) par Dominique Dirlewanger (historien et chercheur associé à l’UNIL) et Antoine Chollet (maître de recherches au Centre Walras Pareto). À voir si les partisans d’un tonitruant nouveau rapport Bergier ou ceux d’une approche plus classique, privilégiant des fonds de recherche, se feront entendre.

Absence de traduction

«Le débat sur cette période de l’histoire suisse est d’une intensité beaucoup plus faible aujourd’hui, ce qui peut montrer qu’il y a une forme d’acceptation des résultats de la Commission dans la société. On peut se reposer des questions qui auraient été beaucoup plus sensibles il y a plusieurs années», note Dominique Dirlewanger. Ce qui interroge, selon lui, c’est le cadre de la recherche: les volumes de la commission Bergier – qui sont majoritairement en allemand – n’ont jamais été traduits. «Ce qui n’aide pas, et on pourrait se poser la question d’une loi qui faciliterait vraiment l’accès aux archives.» L’autre question, ajoute-t-il, c’est de savoir si l’histoire économique intéresse encore le grand public ou même la relève. Aujourd’hui, «la priorité est plutôt à une histoire sociale».

Pierre Eichenberger (39 ans) est maître de recherche à l’UNIL. Selon lui, il faut poursuivre les recherches sur d’autres thématiques que celles imposées par les autorités à la commission (réfugiés, or nazi, effort de guerre). Il pense notamment à l’industrie civile: les Suisses ont livré des «turbines, engrenages et roulements à billes» à «l’Allemagne et au Japon». L’après-guerre est tout aussi important. Des entreprises helvétiques ont profité de l’expertise d’anciens cadres nazis, «comme Ems-Chemie par exemple». Par ailleurs, l’antisémitisme et le racisme, notamment colonial, ont perduré bien après 1945: «La politique suisse de restitution des biens juifs ou coloniaux spoilés reste encore un sujet méconnu.»

 

Source : 24heures, 30 novembre 2022