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Soirée d'hommage aux Justes: allocution du Président de la CICAD, Me Philippe A. Grumbach


Hier soir, Pascal Couchepin a salué l'initiative de la CICAD visant à rendre hommage aux Justes de Suisse.

"Messieurs les Justes parmi les nations,
Madame l'ancienne Présidente de la Confédération,
Madame la Conseillère d'Etat,
Monsieur le Conseiller d'Etat,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invité à cette soirée d'hommage aux Justes de Suisse. C'est avec plaisir que je vous apporte les salutations du Conseil fédéral.

Un grand nombre de manifestations sont organisées à travers le monde dans le cadre de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste.

Je me réjouis que la Suisse s'y associe activement depuis plusieurs années, que ce soit dans les établissements scolaires, par un message du président de la Confédération ou encore au travers de manifestations organisées par des institutions privées. Je salue l'initiative de la CICAD de ce soir.

Comment est-on parvenu, en une génération et au coeur de l'Europe, à la destruction planifiée de tout un peuple et au recours à des moyens scientifiques et industriels modernes pour la mettre en oeuvre? Et cela à l'instigation des dirigeants de l'une des nations les plus cultivées de l'Histoire !
Pourquoi aux millions de victimes militaires et civiles d'une guerre globale sont venu s'ajouter les millions de victimes - juives, sinti, roms, handicapées, homosexuelles, et autres encore - qu'une idéologie avait jugées inférieures, que les adeptes de cette idéologie avaient stigmatisées, dépouillées, envoyées à la mort ?

L'Holocauste est un événement unique dans l'histoire de l'humanité, par son ampleur, les moyens mis en oeuvre, la perversité de l'idéologie qui l'a inspiré.

Si on me permet une comparaison, je dirai que l'Holocauste est du point de vue de la civilisation comme le glissement d'un immense pan de montagne qui menaçait de tout emporter. Par sa radicalité, c'est, à l'aune des civilisations, un événement d'ampleur tectonique.

Et les Justes sont ceux qui finalement ont empêché le terrain, l'humanité tout entière, de glisser dans le néant moral. Grâce à eux, on ne perd pas la confiance dans l'humanité, dans sa capacité de résistance au Mal presque absolu.

La Suisse a été épargnée par la guerre. Elle a conservé ses institutions démocratiques. Elle a accueilli des milliers de réfugiés.

Néanmoins, l'introduction par notre pays d'un "J" dans les passeports de citoyens fuyant un puissant pays voisin, la fermeture quatre ans plus tard de nos frontières à des êtres humains voulant échapper aux déportations planifiées par un empire au faîte de sa puissance ont été, et resteront, des décisions contraires à notre tradition humanitaire.

Face à ces décisions prises en 1938 et en 1942, comment ne pas songer aux paroles qui ont retenti dans un temple de Lyon au lendemain de la défaite française de 1940?

A un moment où beaucoup reniaient leurs principes et leur conscience face à un Reich tout puissant, un pasteur neuchâtelois (Roland de Pury) clamait: "Déjà les gens regrettent d'avoir fait cette guerre parce qu'ils l'ont perdue. Mais alors, c'est la victoire qui donne raison? Et la défaite qui donne tort? C'est le succès qui détermine la vérité? Est-ce là ce que vingt siècles de christianisme ont enseigné à la France?"

Ce pasteur, même emprisonné plusieurs mois en 1943 par la Gestapo, n'a jamais douté de la légitimité de son combat dans la Résistance, ni du secours qu'il a apporté avec son épouse aux persécutés.

Des dizaines d'autres citoyens suisses ont agi avec la même conscience droite, avec le même courage intact au coeur d'une Europe victime de la barbarie nazie.

Des membres du Secours suisse aux enfants ont convoyé à travers la France occupée et jusque dans notre pays une dizaine de jeunes persécutés. Ils ont soulagé des souffrances dans des homes et des maternités. Ils ont empêché la déportation de plusieurs êtres humains depuis des camps d'internement du Sud de la France.

Dans plusieurs établissements religieux, couvents ou paroisses, d'autres compatriotes ont hébergé des fugitifs, parfois des années durant, en Savoie, dans le Sud-Ouest, le Gard, le Nord de la France, et j'en passe.

Des particuliers, des gouvernantes ont aussi caché des amis, les sauvant de la déportation. Des gestes similaires sont attestés à Francfort, à Bruxelles, à Budapest.

D'autres Suisses ont pris des risques pour aider des fugitifs à passer la frontière, valaisanne, genevoise ou encore schaffhousoise, ou leur éviter le refoulement, à Champéry, Saint-Gall ou dans les Grisons. Certains ont allié sauvetage et combat dans la Résistance.

Des délégués du Comité international de la Croix-Rouge ont sauvé des vies en Allemagne et en Hongrie. A Budapest, des collaborateurs de la légation suisse ont usé de toutes les ficelles qu'offre une diplomatie des bons offices pour sauver des dizaines de milliers de Juifs.

Ces citoyens se sont levés à un moment crucial de l'Histoire. Ils se sont comportés en êtres humains, agissant en fonction d'une conscience droite. Responsables, ils ont choisi d'écouter leur conscience, de désobéir à l'Etat, au péril de leur vie.

Ces actes de courage sont restés longtemps méconnus, voire inconnus.

Ils ont aussi valu parfois à leurs auteurs de perdre leur liberté, leur emploi ou l'estime de leurs voisins. On découvrira, ou redécouvrira, les noms et visages de ces êtres courageux dans la publication présentée ce soir.

"Qui sauve une vie, sauve l'humanité entière", lit-on sur la médaille que le mémorial Yad Vashem leur a décernée.

Certains Justes de Suisse ont sauvé une vie, d'autres en ont sauvé beaucoup.

Le message primordial que tous nous délivrent demeure le même: si au temps de la Shoah, ils ont choisi l'aide et la compassion plutôt que l'indifférence ou l'oppression, cela veut dire que nous et nos enfants sommes capables d'agir de même lorsque notre voisin sera persécuté pour l'unique raison qu'il est différent.

La valeur de ce message est immense. Au nom du Conseil fédéral, je tiens à exprimer mon profond respect devant tant de courage et d'abnégation.

Je tiens également à exprimer aux Justes de Suisse ma vive gratitude, pour avoir dans notre pays et dans tant d'autres pays européens, arraché des vies à une destruction planifiée.

Ainsi, ils ont maintenu bien haut la flamme de l'espoir et contribué à préserver l'image d'une Suisse toujours prête à s'engager au secours des victimes.

Les actes des Justes de Suisse ne dédouanent pas d'autres concitoyens de leurs manquements durant ces années sombres.

Ils nous engagent à rechercher, toujours et partout, un comportement digne d'un être humain. Les Justes sont un modèle et je leur suis reconnaissant de nous apporter lumière et espoir".

Source: Confédération Suisse - lundi 28 janvier 2008