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Ce parallèle n’avait pas lieu d’être


Après une analogie entre les expérimentations animales et la shoah, le socialiste David Bonny s’excuse.

Fribourg . « Aujourd'hui, 73 ans après la fin des chambres à gaz d’Auschwitz, on gaze les singes pour des expériences animales. » Le parallèle, rappelant des tests réalisés pour le compte de I ‘industrie automobile allemande, a été fait samedi par le député socialiste David Bonny dans son intervention à la place Georges-Python. L'élu s'y était déplacé pour appuyer Ies 200 manifestants mobilisés contre I ‘expérimentation animale à I ‘Université de Fribourg sur des macaques auxquels de Ia cocaïne est administrée Un faux pas qui interpelle quelques mois après Ia démission du conseiller national vert Jonas Fricker (AG), lequel avait usé d'une comparaison similaire. En marge de la manifestation, David Bonny affirmait qu'il assumait ses propos. Mais hier, il s'est excusé.

« II est navrant de mettre sur le même plan 6 millions de personnes raflées, torturées, placées dans des wagons à bestiaux, poussées dans des chambres à gaz et incinérées dans des fours crématoires et Ie traitement des singes utilisés à des fins de recherche, bien que je comprenne l'émoi des militants mobilisés contre ces expérimentations, cette comparaison n'est pas acceptable », réagit Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre I ‘antisémitisme et Ia diffamation (CICAD). Et d'ajouter que si ces propos n'ont pas été tenus au Parlement fédéral, comme dans Ie cas de Jonas Fricker qui comparait le transport de masse de porcs à la déportation des juifs à Auschwitz, ils méritent au moins des excuses publiques et un rappel à I‘ordre du parti de I'élu. « Cela banalise un génocide incomparablement destructeur. Est-ce que la Suisse mène une politique exterminatrice ? Cela est parfaitement absurde. Cessons d'utiliser la Shoah à des fins politiques », ajoute le représentant de Ia CICAD.

Un lien « tendancieux »

Pour Eric Rouiller; professeur de neurophysiologie à la section de médecine à I'Université de Fribourg, Ie cas évoqué par David Bonny « concerne des expériences à visée purement commerciale. Celles-ci sont menées aux Etats-Unis pour une industrie qui souhaite continuer de vendre des moteurs Diesel. Elles n’ont absolument rien à voir avec des recherches menées en Suisse dans un cadre légal très strict. Lun des plus respectueux et responsables au monde, et qui ne permet pas de tels tests ».

Et de rappeler qu'à I ‘Université de Fribourg, les expérimentations ont pour objectif de développer des applications thérapeutiques pour des maladies nerveuses ou pour traiter des lésions du système nerveux. « Ce lien n'est donc non seulement pas pertinent mais il est aussi tendancieux et totalement déplacé », relève Eric Rouiller.

Revenant sur son intervention, I ‘ancien président du PS fribourgeois souligne qu'il s'agit « d'un faux pas commis sous Ie coup de I ‘émotion », « C'est un parallèle qui n'a pas lieu d'être et que je n'aurais pas dû faire. Je tiens à m'excuser auprès des personnes qui ont été heurtées, tout comme je I'ai déjà fait auprès des représentants de Ia CICAD et de la Communauté israélite de Fribourg. Je suis extrêmement sensible à Ia préservation de la mémoire des horreurs intervenues durant Ia Seconde Guerre mondiale", relève l'élu.

Quant au président du Parti socialiste cantonal, Benoît Piller, il concède que ce parallèle est « maladroit », mais ne tient pas à commenter I ‘intervention de son collègue de parti avant d'avoir eu une discussion avec lui.

Rouages de I ‘indignation

Au-delà du fait que <toute comparaison usant de la Shoah suscite à juste titre une forte émotion>, pour Samia Hurst, bioéthicienne, médecin et directrice de I ‘Institut éthique histoire humanités de l'Université de Genève, plusieurs éléments expliquent I ‘indignation provoquée par ce type de parallèle. « La comparaison d'êtres humains avec d'autres animaux joue un rôle important ici. A moins que I'on soit antispéciste, celle-ci est comprise comme une injure. Dans nos cultures, c'est un rabaissement d'être ramené au niveau des autres animaux. C'est donc une humiliation des victimes. Deuxièmement, mêrne si I'on est antispéciste et que I'on estime que ce rabaissement n'a pas lieu d'être, la gravité des cas n'est tout simplement pas du même ordre. Le nombre de victimes ne I ‘est pas non plus », détaille Samia Hurst.  La bioéthicienne relève enfin qu'une partie des antispécistes sont très certainement aussi choqués par ces analogies: <Même en mettant la souffrance animale sur Ie même plan que Ia souffrance humaine, cela n'empêche pas une comparaison des faits: on peut donc trouver ces propos choquants malgré tout. Dans le cas de Jonas Fricker, Ia comparaison des Juifs déportés à des porcs aura été une circonstance aggravante. »

 

Source : La Liberté, 24 avril 2018