
Remarquant l'étonnement occasioné chez son interlocuteur par la précision de sa mémoire, l'homme de 89 ans glisse qu'après une longue vie, il faut être reconnaissant si on a toujours une tête claire. Et sa vie, August Bohny le rappelle plus d'une fois dans la conversation, a été comblée. Même les événements remontant très loin, il peut les dater avec une grande précision. Comme celui-là, le 24 août 1942, quand la police a demandé, au petit matin, à entrer dans son foyer d'enfants. Le lieu: le Chambon-sur-Lignon au sud de Lyon. Bohny y avait fondé, dans le cadre de l'Action d'aide aux enfants de la Croix Rouge suisse, quatre foyers pour les enfants touchés par guerre, dont de nombreux Juifs.
En 1942, les nazis avaient renforcé la chasse aux Juifs en France. Le chef de la police, bras allongé du régime de Vichy, qui collaborait avec les occupants allemands, a demandé ce matin-là, liste nominale à l'appui, que 72 enfants juifs soit emmenés du foyer pour vérification. Cela ne pouvait signifier qu'une chose: la déportation.
Bohny leur a alors expliqué que les foyers étaient sous protection suisse. Et, avec une grande présence d'esprit, leur a prédit qu'une livraison d'enfants juifs aurait de graves conséquences pour le millier d'enfants qui avait été arrachés des régions de guerre françaises pour les placer sous protection en Suisse. Une menace vide, évidemment, mais qui a eu pour effet que les agents ont tout d'abord demandé une clarification en haut lieu. Quand ils sont revenu chercher les enfants, ceux-ci avaient disparu, discrètement, dans les fermes environnantes.
Bohny, qui était bien intégré comme guide du choeur d'hommes lors des concerts spirituels dans Le Chambon, pouvait compter sur l'aide des villageois pour cette opération de sauvetage. Dans cette région vivaient beaucoup de Huguenots qui, marqués par leur propre histoire de protestants poursuivis en France catholique, soutenaient les Juifs menacés. Il y a donc eu le filet de résistance du prêtre André Trocmé et ses liaisons jusqu'à l'ouest de la Suisse. Les 72 enfants juifs du foyer ont été sauvés et la majorité est parvenue finalement jusqu'en Suisse.
Lorsque August Bohny, professeur à Bâle durant de nombreuses années, nous raconte son histoire, on a l'impression d'entendre le récit d'un homme ayant fait son «service civil»: «Après le service militaire, j'étais heureux de servir le pays de cette façon, sans armes.» C'est en travaillant pour l'aide aux enfants de la Croix Rouge en France qu'il a fait la connaissance de son épouse: Friedel Reiter a sauvé beaucoup d'enfants juifs du camp d'internement de Rivesaltes à Perpignan.
Après la guerre, Bohny est resté dans le service de la Croix Rouge pour les enfants touchés par la guerre. C'est alors qu'il a construit sa vie de famille à Bâle. Durant plus de vingt ans, il a travaillé comme professeur et est devenu un des experts de la dyslexie en Suisse. [...] Le sauveteur est malrgé tout resté modeste. Un héros? «Le mot ne me va bien pas du tout», dit-il. Pas un héros, donc, mais un personne désireuse d'aider, et qui agirait encore exactement ainsi.
En présence du Président de la Confédération Pascal Couchepin et de l'ancienne Conseillère fédérale Ruth Dreifuss, le 28 janvier dernier, à Genève, avait lieu une commémoration, au cours de laquelle August Bohny et sa défunte épouse ont été honorés en tant que «Justes» de Suisse. Dans le même temps, le livre Les Justes suisse édité par la CICAD, leur rend hommage.
François Wisard, Les Justes suisses, 116 pages, édité par la CICAD. Pour commander Les Justes Suisses, cliquer ici.
Source: Basler Zeitung - lundi 10 mars 2008