Des milliers de marcheurs, dont des Suisses, s'élanceJ1t ce vendredi sur le «chemin de paix», parcouru par les victimes du génocide en 1995.
Casquette sur la tête et bâtons de randonnée en main,_ Walter est enchanté par les collines verdoyantes de la région de Srebrenica. «C'est merveilleux ici, s'enthousiasme ce retraité de Zurich. C’est très vert et les gens sont très hospitaliers. Nous, Suisses, nous pouvons apprendre beaucoup. de choses d'eux.»
Comme d'autres randonneurs avant lui, Walter n'est pas seulement venu profiter de la nature du sud-est de la Bosnie. Grâce aux familles bosniaques qui accueillent son petit groupe de marcheurs chaque soir, il tente de comprendre les événements tragiques qui ont ensanglanté cette région d'ex-Yougoslavie, il y a tout juste trente ans.
Aux côtés des marcheurs venus de Suisse, Muhizin Omerovic connait ce chemin par cœur. Ce grand homme au sourire généreux a fait partie des 12'000 hommes et adolescents musulmans qui ont tenté d'échapper au nettoyage ethnique perpétré en juillet 1995 par les nationalistes serbes du général Ratko Mladic. «À l'époque, le territoire était contrôlé par les forces serbes, se souvient ce rescapé dont le père a été tué en défendant la maison familiale. Après six jours de marche, environ 3000 sont arrivés en territoire bosniaque, mais tous les autres hommes de la colonne ont été tués sur le chemin, ou capturés puis exécutés.»
Réfugiés en Suisse
Le génocide de Srebrenica, comme l'a qualifié la justice internationale, se matérialise aujourd'hui avec les milliers de tombes blanches du mémorial de Potocari, où finit la marche. Ici ou là, sur le chemin arpenté par les randonneurs, les maisons en ruine rappellent la violence du conflit qui a duré de 1992 à 1995.
«Tout avait été détruit pendant la guerre, il ne restait que des ruines», souffle ainsi Mehmedalija, un homme d'une soixantaine d'années, qui réaménage l'entrée de sa maison, au bord du chemin. Comme lui, ils sont nombreux sur le sentier boisé qui mène de Nezuk à Srebrenica à avoir obtenu le statut de réfugié dans le canton de Neuchâtel ou de Vaud.
Cette présence helvétique se fait particulièrement sentir autour du village de Pobudje où une voiture sur deux affiche une plaque suisse romande. Et chacun semble avoir toujours des proches en Suisse, comme cette femme qui sort de chez elle pour offrir des pâtisseries aux marcheurs.
Malgré les traumatismes, des milliers de Bosniaques ont fait le choix de revenir vivre sur leurs terres. pourtant situées en Republika Srpska. La « RS » est l’une des deux entités du pays créées par les accords de paix, dont les dirigeants nient le génocide de Srebrenica. «Depuis l'an 2000, beaucoup d'anciens réfugiés ont reconstruit leur maison et relancé leurs cultures et, depuis une bonne quinzaine d'années, ils ont repris une vie quasiment normale », raconte Ivar Petterson, le ,responsable de l'ONG Solidarité Bosnie, qui a accompagné les victimes. « Ceux qui sont retournés vivre ici ont beaucoup mieux dépassé leurs traumatismes que ceux de la diaspora, en Suisse ou ailleurs.»
Au début des années 2000, l'association a lancé la Marche de la paix. D'abord organisée en Suisse avec quelques dizaines de réfugiés, elle suit depuis 2005 les 80 km parcourus par les hommes de la «colonne de Srebrenica». Cette marche qui se tient du 8 au 10 juillet, s'est imposée comme l'un des événements majeurs de Bosnie Herzégovine et elle réunit plusieurs milliers de marcheurs, surtout des jeunes et des membres de la diaspora.
Le passé et l'avenir
« C’est un projet qui réunit le passé avec le présent et avec l'avenir », explique Muhizin Omerovic, qui en a longtemps été l’un des principaux organisateurs. « Le passé, c'est cette histoire pénible que nous avons vécue en 1995, les morts et toutes les choses négatives. Le présent, c'est soutenir moralement les gens, qui sont retournés dans la région. Et enfin, le plus important, c'est l'avenir de la Bosnie.»
Grâce au soutien d'Emmaüs Synergie, le chemin de paix est aujourd'hui inscrit dans la durée, homologué comme GR depuis sept ans. Le long du sentier, une quarantaine de familles paysannes font aujourd'hui chambre d'hôte pour accueillir les marcheurs d'avril à octobre.
Avec des Serbes
Alors que la marche de juillet est accusée d'être instrumentalisée par le SDA, le parti nationaliste bosniaque les enjeux mémoriels liés à la guerre des années 90 continuent de miner les perspectives de vivre-ensemble. « Seule une fille bosno-serbe est venue marcher avec nous et, bien sûr, c'est une déception pour moi » se désole Muhizin Omerovic. « Mais beaucoup de Serbes nous aident avant ou après la marche. Seulement ils ne peuvent pas s'afficher car ils pourraient être traités de traîtres. Ce n'est pas facile pour eux non plus.»
Si les Bosniaques musulmans et les Serbes orthodoxes vivent aujourd'hui à nouveau côte à côte dans la région, la marche n’a pas réussi à apaiser les tensions politiques. Presque vingt-sept ans après la fin de la guerre, les dirigeants de la RS ont renouvelé leurs menaces de sécession, et ils affichent fièrement leur proximité avec Vladimir Poutine.
Source : Tribune de Genève, 8 juillet 2022