Un nationaliste est condamné pour avoir minimisé la Shoah
Président d’une formation d’extrême droite, Philippe Brennenstuhl écope d’une peine avec sursis pour des propos tenus sur Facebook.
Un nationaliste est condamné pour avoir minimisé la Shoah
Ambiance tendue et propos acerbes, ce jeudi matin au Tribunal d’Yverdon. Le Ministère public central, division affaires spéciales, y poursuivait sur plainte de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) le président du Parti nationaliste Suisse (PNS), Philippe Brennenstuhl.
Plusieurs fois candidat aux élections fédérales et cantonales sous la bannière du parti d’extrême droite, ce retraité établi à Sainte-Croix connaît bien la justice vaudoise. Elle l’a déjà condamné à 3 mois de prison, en 2002, pour sa participation à un ouvrage révisionniste.
«Absurdités depuis 1945»
Cette fois-ci, c’est une publication diffusée sur la page Facebook du PNS qui est en cause. Elle remonte au 16 novembre 2020, un mois après l’assassinat du professeur Samuel Paty, dans les Yvelines, qui avait travaillé en classe sur les caricatures de Mahomet parues dans «Charlie Hebdo». À la même période, le film complotiste «Hold-Up» remettait notamment en doute la virulence du Covid-19.
«Je ne comprends pas ce que je fais là.»
Philippe Brennenstuhl s’énerve et écrit: «Sous le prétexte de «la liberté d’expression», on peut donc insulter 1,8 milliard de musulmans dans le monde, alors que relever des invraisemblances dans l’histoire de la Shoah vous emmène droit en prison! Pour le film documentaire «Hold-up», même traitement. On aimerait que ces organismes de censure aillent à Auschwitz pratiquer le même zèle de recherche historique et qu’ils relèvent les absurdités que l’on nous sert et ressert depuis 1945!»
La Cicad, qui a le remuant sexagénaire à l’œil, porte plainte. Le Ministère public suit, considérant qu’il s’agit bel et bien d’une tentative de minimisation, voire de négation de la Shoah dans la sphère publique: la publication est restée en ligne six mois, sur une page suivie par plus de 5000 personnes. «Il n’y a eu aucune réaction, ni positive ni négative, s’agace, à la barre, Philippe Brennenstuhl. Je ne comprends pas ce que je fais là.»
Sa défense est assurée par Pascal Junod, avocat genevois de Dieudonné et du négationniste franco-suisse Alain Soral. «Philippe Brennenstuhl ne nie pas la Shoah ou les chambres à gaz. Il l’a dit. Mais l’histoire de l’holocauste évolue, sans pour autant enlever la réalité du phénomène: l’ouverture des archives soviétiques a permis de leur attribuer des crimes de Nuremberg, dont le massacre de Katyn, une étude récente et sérieuse de 900 pages revoit largement à la baisse le nombre de personnes refoulées à la frontière suisse, et on n’a aucune preuve attestant qu’ils ont été envoyés directement à Auschwitz. Certains sont rentrés chez eux.»
«La Cicad fait du procès d’intention, elle joue avec les mots et prétend rentrer dans la tête de mon client.»
Et de poursuivre: «Mon client constate simplement que celui qui soulève certains points sur la Shoah, celui qui prétend à des invraisemblances sera poursuivi.»
«Il n’y a rien dans cette phrase, rien! La Cicad fait du procès d’intention, elle joue avec les mots et prétend rentrer dans la tête de mon client», tranche l’avocat. Il annonce son intention de porter plainte pour diffamation contre la Cicad, «association qui défend les intérêts d’un gouvernement étranger d’extrême droite».
Il fera appel
La jurisprudence retient que minimiser le génocide ou utiliser certains qualificatifs revient à nier la Shoah. Le président du tribunal, Olivier Peissard, n’a pas de doute: «Le prévenu avait bien l’intention de nier ou minimiser la Shoah. Rien ne l’obligeait à aborder le sujet dans son propos politique. Les mots utilisés sont clairs.» Le juge prend à témoin l’historique et les commentaires sur la page de Philippe Brennenstuhl pour assurer qu’il adhère à des thèses négationnistes.
«Le prévenu avait bien l’intention de nier ou minimiser la Shoah. Rien ne l’obligeait à aborder le sujet dans son propos politique.»
L’effet auprès des jeunes, «pour qui Facebook est en perte de vitesse», serait toutefois limité. Reconnu coupable de discrimination et d’incitation à la haine raciale, l’accusé écope d’une amende immédiate de 300 francs, de 30 jours-amende avec sursis, et devra s’acquitter des frais de justice. Son avocat annonce qu’il fera appel.
La Cicad se dit satisfaite, tout en soulignant que la peine reste faible. Aurait-elle mieux fait de laisser passer cet épisode plutôt que de donner de l’écho au groupuscule? «C’est toute la difficulté des réseaux sociaux, répond son secrétaire général, Johanne Gurfinkiel. Les extrémistes ont pour but premier de rester en petit comité, mais leur capacité de nuisance reste. Notre politique est celle de la tolérance zéro. Ne pas condamner ces propos reviendrait à les accepter. Nous ne sommes pas face à un travail d’historien, mais à des communications qui visent à expliquer aux jeunes que la Shoah n’est pas une vérité absolue et qu’elle est faite de pages mensongères. À l’heure de la disparition des derniers témoins, on ne peut pas laisser se propager ce genre de message.»