L’édito du Secrétaire général

Johanne Gurfinkiel, Secrétaire général de la CICAD

« On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours

Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour

Que le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire »  Jean Ferrat – Nuit et Brouillard

 

A l’heure où ces quelques lignes sont écrites, c’est la Mémoire qui une nouvelle fois dessine les contours de notre combat contre la haine antisémite. Pour que l’évocation de la Shoah et des disparus continue à s’inscrire dans le présent. « Le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire”; et pourtant, le souvenir de ces événements tragiques aurait selon certains perdu de son acuité, de son sens. Rien ne me semble plus éloigné de la réalité que cette affirmation. Plus de 70 ans après l’enfer, leur Mémoire demeure, solidement ancrée en nous. “Heil Hitler!” Deux mots abominables, à jamais enfouis dans les abimes de l’Histoire ? Il serait bien tentant de le penser. Comment ne pas évoquer ce frisson qui vous parcourt l’échine, lorsqu’un fidèle raconte avoir entendu ces deux mots, “Heil Hitler!” prononcés à son encontre à la sortie d’une synagogue de Genève,. Dans un gymnase lausannois, une élève a été la cible de l’un de ses camarades qui lui adressait, à plusieurs reprises, en la croisant, des  « Heil Hitler ».Un élève d’un cycle genevois n’a pas non plus été épargné par ce genre de situations. Des incidents inqualifiables et qui se sont déroulés dans l’enceinte d’établissements scolaires..

Depuis 2003, j’entends cette petite mélodie rassurante, qui voudrait nous faire croire qu’il y aurait une “exception helvétique”, que l’antisémitisme y serait quasiment inexistant. Depuis vingt ans désormais, je m’évertue à expliquer que notre pays est tout simplement comme les autres nations et que l’antisémitisme, comme le racisme et toutes les formes de discriminations sont malheureusement bien présentes ici aussi.

Le fléau délirant du complotisme, qui puise si souvent cette absconse vision du monde à la source de son obsession maladive des juifs, le négationnisme, l’actualité au Moyen-Orient… autant de phénomènes qui alimentent quotidiennement ce cancer de l’antisémitisme, dont les métastases ne cessent de gangréner nos sociétés. Alain Soral, Dieudonné, Chloé Frammery, Alexandre Bender et tant d’autres. Des défilés de néo-nazis dans nos rues, la banalisation de la Shoah – notamment à l’école – les conférences d’idéologues d’extrême-droite dans une ville comme Genève… qui pourrait l’imaginer.  Et pourtant combien ferment encore les yeux sur ces réalités. La même haine, d’autres visages. Dans cette lutte constante contre les nouveaux acteurs de l’antisémitisme, certes le chemin de la mobilisation reste un exercice difficile mais l’espoir est de mise en constatant que le nombre d’alliés et militants grandit année après année.

Une pointe d’optimisme serait dès lors de rigueur face aux multiples interventions politiques qui sont à saluer comme celle de Yannick Maury, Verts vaudois, initiateur d’une motion visant à en finir avec les symboles nazis dans l’espace public vaudois. Ces dernières années, la pandémie et les mesures sanitaires ont servi de prétextes à l’utilisation de ces emblèmes sur tout le territoire suisse. Des démonstrations publiques plus qu’indécentes qui ne semblent pas interpeller le Conseil fédéral, malgré cette récente motion, et qui mérite pourtant toute notre attention. Un engagement contre ceux qui continuent d’utiliser ces symboles par conviction ou les banalisent au profit de leur combat politique est une nécessité, avec un travail de prévention et de sensibilisation à tous les niveaux, et surtout dans le milieu scolaire. La motion poursuit son chemin au niveau parlementaire, avec des équivalences à Genève et au Conseil national également. En début d’année, le député UDC, Thomas Bläsi a initié également un projet de loi constitutionnelle visant à modifier la Constitution de la République et canton de Genève afin d’interdire les symboles nazis sur le domaine public. La CICAD s’est mobilisée aux côtés des députés afin d’aboutir aux projets actuellement discutés. Des initiatives ô combien nécessaires. Si le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire, la Mémoire des drames du passé renforce notre vigilance et tel un fil d’Ariane, guide l’essence de nos actions. Notre pays aussi a encore un long chemin à parcourir pour affronter les fantômes de son passé. Le projet de Mémorial de la Shoah à Genève, qui nous tient tant à cœur et qui va enfin voir le jour prochainement. La plaque rappelant l’histoire du Cancel de Genève ainsi que la commémoration des chemins de Mémoire à Thônex et Veyrier, des symboles si essentiels également et dont nous assistons avec émotion à la naissance après des années de travail sont autant d’initiatives que nos élus auront soutenu avec détermination, conscients qu’un avenir serein ne peut se construire en oubliant le passé, même ses pages es plus sombres.

Transmettre aux générations actuelles et futures pour ne pas oublier, informer, communiquer et enseigner face à la prolifération de propos ou attitudes de haine, des essentielles auxquelles nous nous attelons sans relâche et tous azimuts. Plus que tout l’école reste un des vecteurs clés où la CICAD déploie son énergie, convaincue que les défis restent encore nombreux. Quelques milliers d’élèves déjà sensibilisés au travers de nos modules de formation que nous continuons de développer mais qui mériteraient une mobilisation plus soutenue de nos Autorités. Enfin, les manifestations sportives et culturelles font, elles aussi, l’objet d’une attention particulière :  la course de l’Escalade dont la Team CICAD ne cesse de s’élargir et plus marquant encore, eu égard l’engagement qu’elle envisage :  le Salon du livre qui, à notre plus grande satisfaction était de retour à Palexpo ! Cette année aura dépassé toutes nos espérances et démontré à quel point ce rendez-vous est désormais incontournable pour la CICAD. Les invités de haut niveau et les nombreuses personnalités culturelles, politiques et médiatiques ont attiré, en plus de notre public, de nombreux curieux.. Une édition mémorable, que nous nous réjouissons de répéter prochainement.

Mais quelle énergie ! Permettez-moi ce petit trait d’humour, mais accordons nous pour terminer sur une note musicale plus heureuse et d’oser un rapprochement avec Claude Nougaro : 100’000 volts !

La CICAD, toujours un cocktail d’énergie fruit de l’engagement admirable de celles et ceux mobilisés tout long de l’année. Laurent Selvi, notre Président, David Sikorsky et François Leven, les membres du Comité et nos Présidents d’honneur, nos commissions, membres actifs du Forum et naturellement cette Equipe de professionnelles qui ne mâchent pas ses efforts.