Alain Soral continue ses activités en toute tranquillité
Condamné pour antisémitisme en France, le pamphlétaire dit qu’il peut vivre et s’exprimer librement à Lausanne. La justice vaudoise n’y trouve rien à redire.
Alain Soral continue ses activités en toute tranquillité
Alain Bonnet, dit Soral, ne s’en cache plus. Dans une vidéo du 9 mai 2021 publiée sur son site, il déclare publiquement avoir déménagé à Lausanne en octobre 2019 pour échapper à la prison en France. L’idéologue antisémite est un multirécidiviste de l’autre côté de la frontière. Il y a dix jours, il a encore été condamné. À une peine, cette fois-ci, de 4 mois de semi-liberté pour avoir imputé aux Juifs l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais l’exilé déclare ne plus craindre la justice française: «Étant double national et suisse de nationalité, je ne suis pas extradable et c’est pour cela que je suis en liberté aujourd’hui.»
Le sexagénaire vit désormais en Suisse, d’où il poursuit ses activités en toute tranquillité. La vidéo du 9 mai 2021 a ainsi été réalisée chez un tiers, dans un appartement du centre de Lausanne. Comme il le faisait à Paris, le pamphlétaire commente l’actualité, face caméra. Cette fois-ci, il évoque les conséquences de l’affaire Dreyfus, le national-sionisme d’Éric Zemmour, les voyous ethniques de la police, ainsi que des personnalités françaises de confession juive.
«Le cas Soral interpelle»
L’historien Marc Knobel suit de près Alain Soral. Il en parle d’ailleurs dans son dernier livre, «Cyberhaine. Propagande et antisémitisme sur internet». «Il ne peut pas sortir une phrase sans y coller les Juifs. C’est une pathologie chez lui.» Son exil ne l’étonne pas. D’autres extrémistes condamnés pour antisémitisme en France s’enfuient à l’étranger. «Dieudonné a demandé l’asile à la Turquie.» Le cas du réfugié franco-suisse interroge toutefois plus que les autres. «La Suisse est un pays voisin et ami. Aujourd’hui, il est condamné à payer des amendes. Mais qu’arrivera-t-il s’il doit un jour purger une peine de prison en France. Le cas Soral doit interpeller notre système judiciaire.»
Les réactions se manifestent aussi en Suisse. Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la Sécurité et de l’Économie à Lausanne, dénonce une «récidive». En été 2020, Alain Soral avait multiplié les provocations sur les réseaux sociaux, utilisant Lausanne comme décor de fond. «Notre ville est une terre d’accueil ouverte à tous, explique le municipal. Mais elle ne tolère pas l’antisémitisme.» Lausanne avait alors interpellé la justice vaudoise, qui n’avait pas donné suite. L’intéressé, lui, s’était calmé.
Non-entrée en matière
La Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) à Genève est aussi intervenue, trois fois en 2020, auprès du Ministère public vaudois. Le procureur Christian Buffat vient de rendre une décision de non-entrée en matière. Dans un courrier du 26 mars 2021, il explique que les autorités pénales suisses ne sont pas compétentes. Le for juridique est en France. Selon le magistrat, rien n’indique que les enregistrements aient été mis en ligne depuis Lausanne et les images sont destinées à un public français. Cet avis ne convainc pas Philippe Grumbach. L’avocat de la Cicad dénonce un déni de justice: «Avec ce raisonnement, on ne poursuit jamais les antisémites et les négationnistes.»
Depuis, le contexte a évolué. Alain Soral nargue la justice française. Il enregistre ses propos depuis les bords du lac Léman, en toute transparence. Ce nouvel élément peut-il modifier la position du Parquet? Contacté, le procureur général vaudois Eric Cottier répond que non. Le lieu de production des images et le domicile de leur auteur ne sont pas déterminants. C’est le lieu de diffusion des images qui prime. Or, selon le magistrat, le site «Égalité & Réconciliation» est basé à Saint-Denis (F). Le dossier est donc toujours dans les mains des Français.
«On ne peut pas tout dire en Suisse. Les discours racistes sont condamnés par notre Code pénal, comme en France. Alain Soral ne peut pas exprimer ses idées extrêmes chez nous en toute impunité.»
Cela ne suffit pas à Pierre-Antoine Hildbrand, qui dénoncera à nouveau le cas à la justice vaudoise. La Cicad envisage aussi de le faire. Le conseiller communal socialiste lausannois Louis Dana ajoute qu’une enquête pénale est nécessaire pour déterminer la légalité de ces propos sur les réseaux sociaux. «On ne peut pas tout dire en Suisse. Les discours racistes sont condamnés par notre Code pénal, comme en France. Alain Soral ne peut pas exprimer ses idées extrêmes chez nous en toute impunité.» Contacté, Alain Soral n’a pas répondu à nos sollicitations.