Genève. Une librairie identitaire décriée
Genève. Une librairie identitaire décriée
L’ouverture, ce samedi à Carouge, d’une librairie proche de l’extrême droite suscite la crainte des autorités et des associations.
Elle n’a pas encore ouvert ses portes, mais sa présence met déjà tout le monde sur le qui-vive. La librairie «Sparte», qui prendra ses quartiers samedi dans le centre commercial de Carouge, inquiète les autorités locales. Et pour cause, indique Stéphanie Lammar, conseillère administrative de la Cité sarde, «une librairie qui se positionne contre le mondialisme par crainte de la disparition de nos cultures et de nos identités, comme on peut le lire sur son site internet, cela semble tout à fait contraire à l’esprit d’ouverture et de tolérance que nous défendons».
L’élue qui, comme Le Courrier, a appris l’ouverture prochaine de cette librairie dans les colonnes du journal Le Temps, précise toutefois que «nous n’avons pas de leviers pour empêcher l’installation de ce collectif sachant que le bail a été conclu entre privés». La magistrate ajoute: «Nous avons néanmoins fait un signalement à la police pour savoir si tout était bien légal dans leur activité.»
Interpellée par Le Temps, la régie Wincasa, qui chapeaute le centre commercial, a indiqué ne pas être au courant de ce bail étant donné qu’il concerne la location d’un bureau aux étages et non d’une arcade commerciale. Contactée par notre rédaction, l’agence partenaire Projekt Interim, celle qui a conclu la sous-location avec l’association Sparte, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Associations soucieuses
D’autres inquiétudes proviennent de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). «Nous savons d’avance que cette librairie sera un centre de diffusion des idéologies les plus ignobles», dénonce Johanne Gurfinkiel, secrétaire général. Il s’en réfère au catalogue de livres d’ores et déjà disponible en ligne.
Celui-ci contient, entre autre, des textes du pétainiste Charles Maurras ou encore de Maurice Bardèche, auteur en 1948 de Nuremberg ou la terre promise, ouvrage fondateur du négationnisme présentant les camps de concentration comme une «falsification de l’histoire». On trouvera aussi dans les rayons de la future librairie, pléthore de textes de l’essayiste antisémite Alain Soral, condamné en 2021 pour avoir imputé les attentats du 11 septembre aux juifs.
Tractage antifasciste
Après l’annonce de cette ouverture, des membres du collectif Action antifasciste Genève ont également distribué, jeudi dans la journée, des tracts au pied du centre commercial pour mettre en garde les riverain·es. «La vermine néo-fasciste ne s’implantera pas à Carouge!» indique le communiqué.
Le pamphlet soutient par ailleurs que la très grande majorité des auteur·rices mis·es en avant par la librairie ont comme point commun «une haine maladive envers la communauté juive, un bouc émissaire ancien, mais qui visiblement peut encore servir dans l’époque troublée que nous traversons».
«Nous savons d’avance que cette librairie sera un centre de diffusion des idéologies les plus ignobles» Johanne Gurfinkiel
Enfin, le collectif fait aussi part dans son tract de la crainte que le local de Sparte serve de «point d’appui à ces milieux pour reconstituer un groupuscule à Genève après l’autodissolution de leur précédent groupe en 2020». Des propos qui font référence au collectif d’extrême droite Kalvingrad patriote, dont trois membres présumés ont comparu devant la justice en début de semaine, accusés d’avoir fait des saluts nazis devant Uni Mail.
C’est d’ailleurs Résistance Helvétique, un groupe idéologiquement très proche du collectif dissous, qui a récemment annoncé l’ouverture de la librairie sur les réseaux sociaux. En 2020, ses membres avaient convié l’extrémiste Henry de Lesquen pour une conférence. A la suite de laquelle l’homme avait été condamné par le Tribunal fédéral pour avoir dit qu’il y avait «pire que le coronavirus: le judéovirus».
Une tendance européenne
Dans le catalogue de la librairie, on trouve également de nombreux auteurs issus de la Nouvelle droite, un courant de pensée à tendance nationale-européenne apparu au début des années 1970. Parmi les thèmes centraux de ce mouvement, le paganisme, l’ethnoracialisme, le masculinisme et la suprématie des populations blanches européennes.
Pour Jean Batou, professeur à l’université de Lausanne spécialisé dans l’histoire internationale contemporaine, il est d’ailleurs important de situer l’ouverture de cette nouvelle librairie dans le cadre de la progression de l’extrême droite à l’échelle européenne (AFD en Allemagne, Chega au Portugal, Fratelli d’Italia, RN et Reconquête en France, Fidesz en Hongrie, Parti populaire en Slovaquie, Démocrates en Suède).
«Genève est une ville très sensible au climat politique international. Dès les années 1920, elle a été le siège de l’Entente internationale contre la Troisième Internationale de Théodore Aubert, un homme d’extrême droite bénéficiant d’importants soutiens dans la banque privée. Dans les années 1930, l’Union nationale de Géo Oltramare est apparue aussi à Genève comme un parti ouvertement fasciste avec une représentation parlementaire, ce qui n’a pas été le cas dans le reste du pays.»
Contactée, la librairie Sparte n’a pas jugé utile de nous répondre.
Inauguration annulée
Samedi, la librairie aurait dû inaugurer ses nouveaux locaux dans le centre commercial de Carouge. L’événement a été annulé vendredi. L’annonce, publiée sur les réseaux, explique que l’inauguration n’aura pas lieu «sous pression des ‘antifascistes’ pour risque de troubles à l’ordre public (de leur part)».
Selon ce qui a été communiqué, il semblerait que c’est la régie qui aurait demandé à ce que l’ouverture soit annulée. L’association demande à ses sympathisant·es de ne pas se présenter devant le local par crainte d’agression.
Jeudi, des membres du collectif Action antifasciste Genève avaient distribué des tracts au pied du centre commercial pour mettre en garde les riverain·es. «La vermine néo-fasciste ne s’implantera pas à Carouge!» indiquait le communiqué.