La condamnation de Dieudonné confirmée par le Tribunal fédéral
La Haute Cour rend une décision qui fera date. Même sous couvert d’un personnage fictif, le comédien s’est rendu coupable de discrimination raciale.
La condamnation de Dieudonné confirmée par le Tribunal fédéral
Le droit à l’humour a ses limites; un artiste ne peut faire tenir des propos négationnistes à un personnage fictif qu’il aurait créé. Ce sont les enseignements de l’arrêt du Tribunal fédéral (TF) confirmant la condamnation par la justice genevoise de l’humoriste franco-camerounais Dieudonné M’Bala M’Bala.
Tout juste communiquée aux parties, la décision confirme les 180 jours-amende sans sursis (un total de 30’600 francs) pour discrimination raciale, diffamation et injure infligés par la Cour de justice. «Une victoire pour tous ceux qui se mobilisent au quotidien contre les prédicateurs de la haine», réagit Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad), qui avait saisi la justice.
Plus qu’une phrase
Lorsqu’il a fait dire à l’un de ses personnages «les chambres à gaz n’ont pas existé», l’humoriste sulfureux, de passage à Nyon et à Genève en 2019, a donc bien «stigmatisé les victimes de la Shoah et minimisé leurs souffrances», ont tranché les juges fédéraux. Ils mettent ainsi fin au dossier pénal – un de plus – ouvert à Genève contre Dieudonné.
«Notre Haute Cour rappelle que la satire est protégée par la liberté d’expression mais que le droit à l’humour ne permet pas tout, et quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités.»
En réalité, l’affaire ne se limite pas à cette unique phrase lancée en plein spectacle, mise dans la bouche d’un Québécois en panique dont l’avion est en train de s’écraser. Sur scène, il a qualifié le procès de Nuremberg de «divertissement judiciaire» et multiplié les «comportements méprisants et discriminatoires», liste le TF.
En marge de ses représentations en Suisse romande, Dieudonné a également prié les associations juives «d’aller se faire enculer» et comparé Johanne Gurfinkiel à un «négrier juif». Des éléments constitutifs de diffamation et d’injure qui s’ajoutent à la condamnation pour discrimination raciale.
Arguments du comédien balayés
Devant les juges genevois, le comédien désormais rompu à l’exercice des prétoires n’a pas seulement brandi l’argument de la liberté d’expression. Il a également soutenu que son personnage de fiction «entend exclusivement ironiser sur l’instrumentalisation de la souffrance des juifs par les associations communautaires», mettant son propos en parallèle avec la traite des noirs ou l’extermination des peuples autochtones d’Amérique qui, prétend-il, «ne font de loin pas l’objet de la même attention».
Ces arguments de Dieudonné, comme tous les autres, n’ont trouvé aucun écho auprès du TF. Son «militantisme pour la reconnaissance mémorielle des souffrances des peuples opprimés au travers de l’histoire ne rend en aucun cas licite la tenue en public de propos négationnistes ou révisionnistes», balaient les juges.
Quant à l’ironie, «il apparaît exclu d’accorder systématiquement un blanc-seing à tout artiste tenant des propos négationnistes ou révisionnistes, sous prétexte qu’il agirait dans le cadre de son art ou par le biais d’un personnage de fiction», poursuivent-ils.
Un arrêt «fondamental»
Pour Me Philippe Grumbach, avocat de la Cicad, cet arrêt est fondamental. «Notre Haute Cour rappelle que la satire est protégée par la liberté d’expression mais que le droit à l’humour ne permet pas tout, et quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités», dit-il.
Ce verdict met-il fin à une saga judiciaire de quatre ans? L’avocat de Dieudonné en Suisse, Me Pascal Junod, évoque la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. «Avec cet arrêt, on le condamne pour ses arrière-pensées supposées. On est dans le pur procès d’intention», dit-il.
Reste que la condamnation, par la France, de l’humoriste – il avait fait monter sur scène l’historien négationniste Robert Faurisson – a été confirmée par Strasbourg en 2015. «Ce dossier est différent, estime Me Pascal Junod. Ici, c’est la première fois que la justice condamne Dieudonné pour des propos tenus par un personnage de fonction dans un sketch.»