La gauche radicale, antisémite?

La gauche radicale, antisémite?

La gauche militante genevoise fait l’objet de vives critiques de la part de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme. Les collectifs visés s’expliquent.

C’est un article du collectif Secours Rouge Genève, paru le 11 octobre sur le site Renverse.co, qui a mis le feu aux poudres entre la gauche radicale et la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). Tout d’abord, c’est le titre – «Le 7 octobre 2023 est désormais une date historique!» – qui semble poser problème. «Publier cela quelques jours seulement après l’attaque du Hamas est tout simplement inacceptable», tonne Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD. Qui dit avoir été «choqué» par une phrase en particulier, à savoir: «Celles et ceux qui ne vivent pas sous l’occupation militaire et ne subissent pas la violence de la colonisation n’ont pas le droit de juger la façon dont la résistance a choisi d’affronter le colon sioniste.» Un message qui, selon Johanne Gurfinkiel, «laisse entendre que l’on peut justifier le meurtre de juifs».

S’il ne va pas jusqu’à qualifier les propos tenus par le Secours Rouge d’antisémites, il n’hésite pas à dire qu’«ils font l’apologie du terrorisme». Au même titre, d’ailleurs, que le slogan «Intifada jusqu’à la victoire» employé par l’Etincelle, la section genevoise de la Tendance marxiste internationale, lors d’une récente conférence organisée à l’université de Genève. «Inciter à l’Intifada, c’est aussi appeler au meurtre», s’indigne Johanne Gurfinkiel.

«Nous combattons l’antisémitisme, mais nous combattons aussi le sionisme»

Faux, rétorque l’un des membre du groupe marxiste: «Le terme Intifada est la traduction littérale du mot ‘soulèvement’ en arabe. Un soulèvement qui, historiquement, a pris la forme de collectifs civils mettant sur pied des écoles, des cliniques ou plus généralement une vie sociale à Gaza, ce que l’Etat israélien refuse de faire». Et le militant d’insister: «C’est pour cela que notre critique porte sur l’Etat d’Israël, et non sur les personnes juives.»

Une subtilité que le Secours Rouge Genève cherche aussi à faire entendre. Comme l’indique un de ses membres: «Nous combattons l’antisémitisme, mais nous combattons aussi le sionisme, qui est le projet colonial visant à la création d’un Etat juif sur l’ensemble du territoire palestinien.»

De son côté, Johanne Gurfinkiel n’en démord pas: «L’antisionisme est une forme d’antisémitisme, puisqu’il remet en question la légitimité des juifs à disposer d’un Etat.» Une position qui diverge de celle adoptée par le Conseil fédéral en 2021, qui veut que «critiquer le gouvernement israélien n’est pas assimilable à de l’antisionisme, et celui-ci n’est par ailleurs lié à aucun parti ou idéologie en particulier. L’antisionisme n’est antisémite que lorsqu’il véhicule des clichés antisémites et qu’il s’en prend aux juifs».

Et le militant du Secours Rouge d’ajouter: «Il existe même de nombreux collectifs juifs qui aujourd’hui s’opposent la politique coloniale de l’Etat israélien» (lire notre article du 26 octobre). Ce à quoi le secrétaire général de la CICAD répond que l’«on peut très bien être juif et antisémite».

Double standard dénoncé

Une position «malhonnête», s’insurge le militant de l’Etincelle. «Tout aussi malhonnête, d’ailleurs, que de considérer chaque Palestinien résistant comme un membre du Hamas, ou de mettre sur un même plan la lutte des Palestiniens pour leur libération et la lutte de l’Etat israélien pour maintenir sa domination».

Au-delà du fond, Johanne Gurfinkiel critique également la forme des positions de la gauche radicale. Citant à nouveau l’article publié par le Secours Rouge, il déplore le fait «qu’aucune référence aux victimes israéliennes n’y est faite». Interrogé en retour sur les morts palestiniennes, il dit «déplorer les victimes quelles qu’elles soient». Est-ce à dire qu’il soutiendrait un cessez-le-feu? «Je ne suis pas là pour faire de la politique», élude-t-il. «Je suis la pour porter la voix de juifs de Suisse romande qui disent craindre pour leur intégrité.»

Un «dangereux glissement»

Car, depuis quelques semaines, son association dit constater une hausse des actes et des graffitis antisémites en Suisse romande. «Le dangereux glissement opéré récemment au sein de la gauche radicale, qui fait des attaques du Hamas un symbole de la résistance, n’y est pas pour rien», avance Johanne Gurfinkiel.

Pour Tobia Schnebli, militant historique de gauche et membre du Collectif Urgence Palestine Genève, «certaines personnes, de tous bords politiques confondus, peuvent faire l’amalgame entre l’Etat d’Israël et le peuple juif. A ces personnes, il est nécessaire de rappeler que ne sont pas les juifs en tant que juifs qui agissent, mais un Etat colonial qui prétend les représenter».

Même si son collectif ne fait pour l’heure l’objet d’aucune critique de la part de la CICAD, le militant explique que «nous sommes habitués à ce que la gauche soit taxée d’antisémite dans les moments ou les critiques envers l’Etat d’Israël sont les plus vives. Cela fait partie d’une stratégie politique qui consiste à présenter la position de son adversaire de façon volontairement erronée pour mieux pouvoir la condamner moralement».