«L’antisémitisme de Dieudonné, c’est son fonds de commerce»
Dieudonné a comparu lundi pour des propos négationnistes tenus à Genève. Le Parquet a requis une peine sans sursis.
«L’antisémitisme de Dieudonné, c’est son fonds de commerce»
Les questions des juges, Dieudonné y est habitué. Rien que la semaine dernière, l’humoriste a été condamné à trois reprises en France. Le voici au Palais de justice de Genève. Son expérience des prétoires est grande, mais il l’assure: «Je suis très étonné d’être ici. C’est la première fois que je suis convoqué comme complice d’un de mes personnages.»
Dans sa version genevoise, l’affaire Dieudonné se décline en trois actes. Le premier concerne des phrases prononcées lors de ses spectacles à Genève et Nyon. Dans un sketch mettant en scène des personnages à bord dans un avion qui s’écrase, un Canadien lance avant de mourir: «Les chambres à gaz n’ont pas existé.»
L’acte II gagne en vulgarité. Dans ce même spectacle donné au CAC Voltaire, l’humoriste franco–camerounais dévie sur la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad): «La Cicad me fait un procès? Il faut leur dire d’aller se faire enculer.»
Dans l’acte III, Dieudonné traite Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad, de «raciste, de menteur, de malhonnête» dans une interview. Le tout lui vaut des poursuites pour discrimination raciale, injure et diffamation.
Le coauteur en question
Dieudonné, 55 ans, n’est pas de ceux qui font acte de contrition. À la barre, il plaide la liberté d’expression et se présente en «humoriste, pas en historien». La phrase négationniste? Ce n’est pas lui qui l’a écrite, mais son coauteur, un homme de confession juive condamné pour assassinat et incarcéré en France. Dieudonné l’a rencontré lors d’ateliers qu’il animait en prison.
À l’aise entre ses avocats et ses soutiens, Dieudonné joue avec les limites et les mots, maîtrisant cet art qui consiste à déplacer le propos lorsque la question gêne. Il fustige «les communautarismes hystériques à l’origine du racisme» et «la hiérarchisation de la douleur» mais ramène chacune de ses réponses à la souffrance du peuple africain, victime de la traite négrière. «Je ne nie pas l’existence des chambres à gaz, mais je sens une hostilité à mon égard. Comme si, en tant que Noir, je ne pouvais pas penser par moi-même.»
Vingt condamnations
Liberté d’expression, révisionnisme: il est rare qu’un procès porte sur des questions aussi fondamentales. «Il ne s’agit pas de déterminer s’il s’agit d’humour, pour le premier procureur Stéphane Grodecki. Nier l’existence des chambres à gaz, c’est cracher sur la mémoire de victimes, contribuer à propager la haine des juifs.»
Lundi, le représentant du Ministère public a requis une peine de 180 jours-amende, rappelant les vingt condamnations définitives de Dieudonné en France. «L’antisémitisme primaire, c’est son fonds de commerce. On amène les gens à rire sur l’indicible pour construire la haine et préparer le terreau de l’horreur.»
Ce procès devant le Tribunal de police constituait également un volet du conflit qui oppose Johanne Gurfinkiel et Dieudonné. Le premier avait affirmé que l’humoriste appartenait à «la fachosphère, celle qui alimente les réseaux complotistes et conspirationnistes qui viennent soutenir les actions terroristes».
Après ces mots, Dieudonné avait porté plainte à Genève, mais celle-ci n’a jamais été instruite par la justice pour des questions de forme (la plainte n’était pas signée et l’avance de frais pas payée).
«Il ne conteste pas le drame juif mais dénonce son instrumentalisation par un certain nombre d’associations.»
Dans une interview publiée sur YouTube, Dieudonné avait alors répliqué, soutenant que le secrétaire général de la Cicad «porte l’héritage des négriers juifs». À la barre, après que Johanne Gurfinkiel s’est dit «blessé et choqué par la violence des insultes», le polémiste est allé plus loin: «Dans son regard de haine, je ressens les lanières de cuir qui viennent lacérer le dos de ma grand-mère.»
Les avocats à couteaux tirés
La confrontation entre avocats s’annonçait musclée, elle l’a été. «Dieudonné est un propagandiste antisémite efficace. Il se moque de la justice de manière éhontée» pour Me Philippe Grumbach, avocat de la Cicad et de son secrétaire général. Réplique aux contours très politiques de Me Pascal Junod, avocat de Dieudonné. «Il ne conteste pas le drame juif mais dénonce son instrumentalisation par un certain nombre d’associations.»
Dans l’attente de connaître son verdict – il sera rendu jeudi – Dieudonné a rapidement filé après son audience. Il remonte sur scène dès mardi, a-t-il annoncé.