Le mutisme des autorités face à la hausse des actes antisémites en Suisse romande irrite

Le mutisme des autorités face à la hausse des actes antisémites en Suisse romande irrite

Secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation en Suisse romande, Johanne Gurfinkiel regrette que le boom des actes antisémites dans nos régions n’ait «fait l’objet d’aucune réaction» de la part des autorités.

Insultes, tags, messages haineux, dégradations, depuis la reprise du conflit au Proche-Orient, les cas d’antisémitisme se multiplient en Suisse romande. Préoccupée, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation en Suisse romande (CICAD) tire la sonnette d’alarme. Dans une interview accordée à La Liberté, Johanne Gurfinkiel, secrétaire général, s’irrite du «mutisme» des autorités cantonales face au sentiment de crainte de la communauté juive.

Depuis l’offensive du Hamas en territoire israélien et la violente riposte de l’armée israélienne sur la bande de Gaza, on observe une vague d’antisémitisme dans les pays voisins du nôtre. Qu’en est-il de la situation en Suisse romande?

Johanne Gurfinkiel: L’antisémitisme n’est pas né le 7 octobre, mais l’antisémitisme a connu une poussée phénoménale dans la majeure partie des pays occidentaux depuis ce jour-là, et la Suisse n’y échappe pas. Entre le 7 et le 31 octobre, nous avons enregistré 146 cas d’antisémitisme en Suisse romande, contre une trentaine en octobre 2022. Parmi ces cas, 106 se sont déroulés en ligne, et 40 dans l’espace public.

Quelles formes prennent ces violences?

La première vague, la plus visible, était constituée de graffitis comme «Hamas merci», que l’on a vu apparaître çà et là. Ensuite, des messages sont arrivés dans le cadre de manifestations propalestiniennes pourtant annoncées comme pacifistes. En parallèle ont commencé à apparaître des commentaires haineux sur internet, comme «Hitler n’a pas fini le boulot». La RTS a par exemple dû fermer l’accès aux commentaires des lecteurs, mais d’autres médias ne l’ont pas fait et ont laissé ce type de messages se diffuser. Enfin, nous sommes passés à un degré encore supérieur lorsque des personnes reconnaissables comme Juives ont été interpellées et insultées dans l’espace public. Des injures telles que «sale Juif», des portes ou des boîtes aux lettres marquées de croix gammées ou de l’étoile de David nous ont été rapportées.

Est-ce que cela s’exprime de la même manière dans toutes les régions et parmi toutes les générations?

La majeure partie des actes recensés concerne les cantons de Genève et de Vaud. Le premier cas fribourgeois nous a été rapporté ce vendredi, il s’agit d’une étoile de David accompagnée de deux flèches pointant vers une poubelle réservée aux déjections canines… Le tag en question a été immédiatement effacé par la voirie. En ce qui concerne la question générationnelle, l’antisémitisme est aussi une réalité dans les cours d’école. Les plus jeunes sont abreuvés par ces informations d’une manière ou d’une autre, via les réseaux sociaux, mais aussi à la télévision, dans le cadre familial et amical.

La CICAD a enregistré quatre cas qui concernent des enfants. Cela va d’une mise à l’index par des camarades, à des saluts nazis ou une monitrice du parascolaire qui a elle-même interpellé une fillette de dix ans en lui disant qu’il fallait qu’elle comprenne que c’était «la faute à Israël ce que fait le Hamas».

Et ce n’est que la pointe de l’iceberg…

Effectivement, et c’est là un point très important. Ces chiffres et ces exemples ne représentent que les cas rapportés à la CICAD ou observés dans le cadre du travail actif d’analyse et de recherche que nous menons. Mais cela ne rend compte que d’une partie infime des cas, car la première difficulté des victimes reste de témoigner. Ces dernières sont souvent retenues par un sentiment de culpabilité. En parallèle, le problème de fond, c’est qu’il y a une inquiétude grandissante de la part des citoyens suisses de confession juive. Ils se disent inquiets, qui ne le serait pas dans le climat actuel, mais la réponse des autorités n’est pas à même de les rassurer.

Voulez-vous dire par là que les autorités n’en font pas assez?

Il faut être clair, exception faite pour le maire de Genève, il n’y a simplement pas de prise de position officielle des autorités. Nous sommes le 3 novembre, cela fait presque un mois que l’on attend un message comme une parole divine qui n’arrive pas. La situation est totalement ubuesque, il faut presque prier les autorités cantonales de témoigner de leur solidarité et de leur engagement face à des discriminations qui touchent leurs concitoyens. Certains reprochent à la CICAD de multiplier les interpellations personnelles auprès des élus. C’est vrai que nous le faisons très régulièrement, c’est bien notre rôle de lancer l’alerte et le leur d’entendre les appels de leurs citoyens. Ce qui nous importe, au final, c’est d’entendre, enfin, leur prise de position publique.

Selon vous, comment remédier à la multiplication des actes antisémites?

En plus de la prise de parole des autorités, je suis d’avis que les écoles ont leur rôle à jouer dans la prévention de ces phénomènes, au même titre que l’on sensibilise au féminisme ou à l’écologie. La réflexion sécuritaire est également prioritaire, et je crois savoir qu’à Fribourg aussi, des effectifs ont été déployés dans les lieux sensibles. Enfin, il est important de rappeler à tous que ces actes méritent une réponse judiciaire. Sur ce point, je regrette que la CICAD soit systématiquement l’actrice des dénonciations pénales. C’est un travail colossal et il est important que le Ministère public et les élus s’y attellent également.