Montée de l’antisémitisme. Les juifs vaudois, entre anxiété et silences
Montée de l’antisémitisme. Les juifs vaudois, entre anxiété et silences
La haine contre les juifs se développe aussi dans le canton de Vaud. La communauté israélite exprime son besoin d’être rassurée.
Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre, la communauté juive vaudoise vit dans l’anxiété. «Une chape de plomb s’est abattue, résume la journaliste Francine Brunschwig, de confession juive. Certains craignent de porter une étoile de David, ou de se rendre à des événements où l’on se retrouve en nombre entre juifs. Il y a de l’inquiétude, et de la peur. Mais il importe de ne pas céder à l’hystérie ou à la panique.»
Il faut dire que la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud (CILV) a lancé un appel à la prudence, rapporte Caroline*: «La consigne de sécurité était de ne pas aller dans l’espace public avec des signes ostentatoires de confession juive. Les gens ne se sentent pas à l’aise mais ils savent que la police est présente pour les protéger.»
«Un écolier a perdu soixante amis sur Instagram, lesquels ne souhaitaient plus s’afficher avec un juif sur les réseaux sociaux.»
Si la police est perçue comme rassurante, elle mesure le sentiment de peur qui s’installe dans la communauté juive vaudoise: «De nombreuses actions infrapénales à caractère antisémite sont vécues par la population juive vaudoise, souligne Jean-Christophe Sauterel, directeur de la communication et des relations avec les citoyens à la police cantonale. On nous a, par exemple, rapporté le cas d’un écolier qui a perdu soixante amis sur Instagram, lesquels ne souhaitaient plus s’afficher avec un juif sur les réseaux sociaux. Ce type d’événement est ressenti de manière traumatisante. C’est pourquoi il faut garder à l’esprit que les chiffres venant de la police sont peu représentatifs du phénomène.»
Peinture rouge sang et fausse alerte à la bombe
Il est vrai qu’avec huit cas enregistrés, le chiffre peut paraître bas. «Il s’agit principalement de dommages à la propriété (tags, affiches) comportant des croix gammées et/ou des annotations injurieuses», poursuit Jean-Christophe Sauterel. Mais il y a moins banal: «Un jet de peinture rouge sang dans un établissement public et une fausse alerte à la bombe dans une école juive.»
Deux cas lausannois sont déjà entre les mains du Ministère public, indique le procureur général Eric Kaltenrieder. «Lors de la manifestation du 21 octobre, des propos ont été dénoncés», explique le patron du Parquet. Ce jour-là, la deuxième manifestation lausannoise a réuni 2000 personnes à l’initiative du nouveau collectif étudiant «Lausanne-Palestine». Le deuxième cas instruit par un procureur est «un jet d’œufs sur un balcon arborant un drapeau représentant à la fois le drapeau LGBT et le drapeau israélien», indique Eric Kaltenrieder.
Si le nombre de cas est inférieur à celui qui concerne le canton de Genève, l’augmentation est évidente. Ils se produisent environ quatre fois plus souvent qu’avant le 7 octobre, si l’on se base sur les chiffres de la police cantonale. La Cicad (Communauté intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation) estime que la fréquence des actes antisémites est «8 à 10 fois» plus élevée pour l’ensemble de la Suisse romande depuis le 7 octobre. Elle en a relevé 247, dont 44 sur sol vaudois entre le 7 octobre et le 21 novembre.
Voyons de plus près ces cas vaudois. Parmi ceux-ci, quatre sont qualifiés de «graves», deux de «sérieux» et tous les autres de «préoccupants», selon la classification de l’organisation spécialisée.
Les cas «graves»? Deux lettres anonymes reçues à la synagogue de Lausanne, qui, en substance, comparent les juifs aux nazis. La porte d’une femme juive taguée d’une étoile de David et forcée, comme l’a rapporté lematin.ch le 23 octobre. Enfin, lors du Montreux Comedy Club, un humoriste a mimé le mot juif en faisant, entre autres gestes symboliques, celui de l’argent, soit le frottement du pouce et de l’index en montant.
À l’école et sur les réseaux
Les cas «sérieux» sont un graffiti à Lutry disant «Le ghetto des feujs» et, dans l’établissement Léon-Michaud à Yverdon, un élève se faisant traiter de «sale juif» lors d’un cours de sport. Enfin, la plupart des cas «préoccupants» sont des publications sur les réseaux sociaux. Un élu communal écologiste, qui a quitté le parti Vert cet été, est ainsi repéré pour avoir publié un dessin de presse antisémite.
Du côté de l’école vaudoise, seuls deux cas ont été signalés au sommet du Département de la formation: «Une altercation dans un bus, hors temps scolaire, ainsi qu’une inscription d’une croix gammée dans une cabine de toilette d’un établissement», précise Romaine Morard, la collaboratrice personnelle de Frédéric Borloz.
Dans une lettre au Conseil d’État datée du 14 novembre, la CILV résume le vécu des membres: «Plusieurs écoliers juifs ont été pris à partie dans les établissements scolaires. Des coreligionnaires ont été invectivés dans les rues de Lausanne à différentes reprises. Les réseaux sociaux, dont on connaît l’effet de résonance accrue, ont diffusé de manière considérable les messages strictement antijuifs et incitant à la haine.»
* Prénoms d’emprunt