Scrutin cantonal: Faut-il interdire les symboles de haine? Genève va voter

Scrutin cantonal: Faut-il interdire les symboles de haine? Genève va voter

Si la population accepte de modifier la Constitution cantonale, Genève sera le premier canton à inscrire cette interdiction dans sa loi fondamentale.

 

Si la population accepte de modifier la Constitution cantonale, Genève sera le premier canton à inscrire cette interdiction dans sa loi fondamentale.

La Constitution genevoise doit-elle contenir un article interdisant les symboles de haine dans l’espace public? La population du canton du bout du lac est appelée à répondre à cette question le 9 juin prochain.

«Genève serait le premier canton à introduire une telle interdiction dans sa Constitution», espère Thomas Bläsi, conseiller national UDC (GE), ancien député au Grand Conseil genevois et à l’origine du texte soumis à votation populaire.

«La Suisse est l’un des rares pays d’Europe qui n’interdit pas l’utilisation de symboles nazis.» Conséquence selon lui: les sites qui en vendent sont nombreux. «Or afficher ces symboles ne représente pas uniquement un signe de ralliement pour tous ceux qui partagent l’idéologie nazie, mais cela heurte toute une partie de la population qui, en raison de son origine ou de son orientation sexuelle, a été ou aurait pu être victime des crimes nazis», estime Thomas Bläsi.

Un grand-père résistant

Le député porte dans son histoire familiale l’héritage de la répression nazie. «Mon grand-père a été résistant en France, avant d’être déporté. Il est ensuite devenu aide de camp du général de Gaulle, explique-t-il. Il s’est ensuite engagé pour que l’on n’oublie pas les crimes des nazis et c’est dans ce contexte que j’ai grandi.»

Soutenue dans un premier temps par toutes les formations politiques, l’UDC – son parti – a modifié sa position. C’est à Yves Nidegger, député au Grand Conseil et ancien conseiller national, que l’on doit cette volte-face.

 

«Genève serait le premier canton à introduire une telle interdiction dans sa Constitution»
Thomas Bläsi

«Contrairement à la motion votée au Conseil national la semaine dernière, le canton de Genève entend inscrire non pas dans la loi mais dans la Constitution cantonale une interdiction d’ordre général concernant tous les symboles de haine, constate l’élu. Or les travaux fédéraux en Commission des affaires juridiques, auxquels j’ai participé, ont démontré qu’il était très difficile d’établir une nomenclature des symboles à interdire, la liste étant soit arbitraire, soit interminable.»

Et de citer quelques exemples: «Il y a bien sûr les symboles du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (nazi), mais également ceux des partis communistes dont les camps de la mort ont tué des dizaines de millions de personnes en URSS et plus encore en Chine. Et que dire du A entouré d’un cercle qui appelle au meurtre de certaines catégories de personnes?» s’interroge Yves Nidegger. Selon l’avocat, l’article 261 bis du Code pénal suffit. «Cette disposition punit en effet depuis 30 ans les incitations publiques à la haine indépendamment du fait que celles-ci se fassent par la parole, l’écrit, le geste ou l’exposition de symboles.»

Loi d’application impossible?

Mais ce n’est pas la seule critique qu’Yves Nidegger adresse au projet genevois. «Pour donner corps à ce principe, il faudra rédiger une loi d’application. Or le droit pénal est de compétence fédérale et l’article 261 bis règle déjà la question. Autant dire que c’est mission impossible et que le Conseil d’Etat en sera réduit à prononcer des interdictions au coup par coup en se référant directement au mandat constitutionnel. Des décisions politiques et arbitraires sont ainsi programmées, tout le contraire du renforcement de la paix sociale promis par cet article constitutionnel.»

Un point de vue que ne partage pas Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad). «Il n’existe pas de formule parfaite pour interdire les symboles nazis. Je pense que Genève a bien fait de privilégier la voie constitutionnelle. C’est en accord avec les valeurs de la Genève internationale et des droits humains. Inscrire cette interdiction dans la Constitution, c’est envoyer un message clair sur un sujet essentiel qui n’est pas que symbolique.»

Car pour le responsable, il y a nécessité d’agir. «Interdire les symboles nazis est un sujet d’actualité. Ils sont trop souvent utilisés dans l’espace public, ce qui nous préoccupe beaucoup. Plus grave, ils tendent à être banalisés, que ce soit dans des milieux acquis aux idées nazies ou fascistes ou par certains citoyens», observe le responsable.

Selon Johanne Gurfinkiel, il est tout à fait possible d’appliquer cette interdiction aux symboles extrémistes en général. Mais comment les définir? «Il faudrait une liste précise, sans quoi il ne sera pas possible d’appliquer la loi. Une manière de faire serait de se baser sur les interdictions existantes de certains mouvements (par exemple le Groupe Etat islamique) pour établir la liste, liste qui pourrait être régulièrement mise à jour», suggère le secrétaire général.

Une UDC divisée? Pas sûr

Dans un premier temps, presque tout le groupe UDC soutenait le texte constitutionnel visant à interdire les symboles de haine dans le canton de Genève. «Mais lors de l’assemblée générale, une majorité a finalement décidé de ne pas soutenir la campagne en sa faveur. Je le regrette et comprends mal ce vote. Mais il est normal qu’il existe des divergences au sein d’un parti dans un pays démocratique», philosophe Thomas Bläsi, membre du parti et auteur du texte.

Pour le député cantonal Yves Nidegger, qui a convaincu son parti de ne pas soutenir l’article constitutionnel, «on ne peut pas dire que l’UDC soit divisée sur cette question». Tant au Grand Conseil qu’au Conseil national à Berne le 17 avril, environ deux tiers des élus de son parti ont voté contre, une partie s’est abstenue et seuls quelques-uns ont approuvé les textes.

Différentes motions déposées

Le 17 avril, le Conseil national emboîtait le pas à la Chambre des cantons en interdisant les symboles racistes. La stratégie choisie: d’abord proscrire les symboles nazis, considérés comme facilement identifiables, avant d’étendre la loi à d’autres symboles racistes dans un second temps.

Une stratégie que salue Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad). «Le débat a été trop longtemps bloqué. Grâce à l’engagement admirable de députés des parlements cantonaux romands et d’élus fédéraux, ce sujet est enfin traité au niveau politique.»

Car il n’y a pas qu’à Berne que les choses bougent. Dans le canton de Vaud, une motion déposée par l’élu vert Yannick Maury prévoit d’interdire tous les symboles extrémistes. «Le projet vaudois est donc plus englobant (que le projet fédéral, ndlr) et permettra de lutter contre davantage de dérives et plus rapidement, sans hiérarchiser les types de haine et sans procéder en deux temps», estime le député au Grand Conseil. Son texte a été soutenu à l’unanimité par le parlement.

 

«Ma collègue Christel Berset et moi-même avons été très interpellés par l’affichage d’un drapeau nazi lors de la bourse aux armes à Forum Fribourg fin 2023»
Alexandre Berset

Inspirée notamment par l’exemple vaudois, la vert’libérale Brigitte Leitenberg a déposé elle aussi une motion similaire en septembre dernier au Grand Conseil neuchâtelois. Après quelques modifications, le texte a été soutenu par le parlement cantonal, sans opposition.

Dans le canton de Fribourg, une motion pour l’interdiction des symboles nazis a été déposée par les députés Alexandre Berset (verts) et Christel Berset (ps). Contre l’avis du Conseil d’Etat, le texte a été soutenu par le Grand Conseil à 54 voix contre 41 (voir notre édition du 21 mars).

Ces élus de différents cantons partagent des motivations similaires. «Ma collègue Christel Berset et moi-même avons été très interpellés par l’affichage d’un drapeau nazi lors de la bourse aux armes à Forum Fribourg fin 2023», témoigne ainsi Alexandre Berset. Jugeant la réponse du Conseil d’Etat «insatisfaisante», les deux députés ont alors décidé de déposer une motion.

C’est aussi la multiplication d’actes haineux et la montée de l’antisémitisme qui ont encouragé ces élus à agir, tout comme une législation jugée lacunaire. «La norme pénale antiraciste ne punit pas l’utilisation ni l’exhibition des symboles nazis dans les lieux publics. Cette lacune juridique facilement exploitée par la mouvance néonazie permet à ses militants d’exhiber de tels emblèmes sans être inquiétés, et ce en toute connaissance de cause et en toute impunité», déplore ainsi Brigitte Leitenberg.

 

«La norme pénale antiraciste ne punit pas l’utilisation ni l’exhibition des symboles nazis dans les lieux publics»
Brigitte Leitenberg

Faut-il retirer les différentes motions face à la future législation fédérale? Les députés fribourgeois et neuchâtelois attendent d’évaluer les développements à Berne avant de prendre leur décision. Dans le canton de Vaud, un retrait n’est pas à l’ordre du jour.

«L’existence d’un texte cantonal qui va plus loin que la première étape du projet national permet de maintenir la pression sur les Chambres fédérales, afin qu’elles reprennent la main sur l’ensemble des symboles de haine et qu’elles ne fassent pas les choses à moitié», estime Yannick Maury.