Selon Johanne Gurfinkiel, la Cicad fait face à un «raz-de-marée» d’antisémitisme

Selon Johanne Gurfinkiel, la Cicad fait face à un «raz-de-marée» d’antisémitisme

Depuis le 7 octobre 2023 et l’attaque terroriste du Hamas en Israël, suivie de la réplique israélienne à Gaza, les manifestations d’antisémitisme se sont multipliées en Europe. La Suisse romande ne fait pas exception. La Cicad est en première ligne pour contrer ce fléau. Sous la Coupole a rencontré son combatif et remuant secrétaire général, Johanne Gurfinkiel. Extraits

 

«Pour nous, c’est un véritable raz-de-marée.» Quand il évoque la séquence qui s’est ouverte en octobre 2023, Johanne Gurfinkiel est fidèle à son franc-parler. La Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) «doit intervenir sur trois à quatre signalements par jour»: agressions physiques ou verbales, publications ou commentaires sur les réseaux sociaux, etc. La Cicad propose alors un soutien pouvant aller jusqu’à l’assistance juridique.

Se sent-il aussi menacé sur le plan personnel? «Bien évidemment. Ce n’est pas juste un sentiment, c’est une réalité. Les menaces, les injures, les calomnies sont nombreuses.» Il le sait: son style un brin parisien, son esprit gouailleur détonnent dans une Suisse très consensuelle. Arrivé il y a bientôt un quart de siècle, désormais citoyen suisse, il s’en amuse dans un grand éclat de rire: «Je reconnais un style assez tranchant, assez vif, intellectuellement honnête, qui ne souhaite pas s’inscrire dans une espèce de consensus mou… Cette franchise, on me la reproche. Je l’entends.»

1789: c’est le nombre d’actes antisémites dénombrés en 2024 par la Cicad en Suisse romande, et cela ne s’est pas amélioré au premier semestre 2025. Notre pays serait-il antisémite? Johanne Gurfinkiel conteste: «La Suisse n’a pas été, n’est pas et ne sera pas un pays antisémite… Il y a des acteurs aujourd’hui qui soit professent, soit encouragent, soit promeuvent l’antisémitisme. Mais la Suisse n’est pas un pays antisémite.»

La Cicad violemment prise à partie

Parmi les centaines d’actes recensés, peut-on identifier une gradation dans la gravité? «Il n’y a pas [d’actes] moins graves. C’est toujours d’une extrême gravité d’être confronté à un acte d’hostilité affichée qui ciblerait des juifs.» Concrètement, «il y a des cas d’agression physique. On s’attaque à des enfants. A Zurich, on a vu cet homme qui a été poignardé par un adolescent radicalisé. C’est le cas le plus grave qui a été relevé en Suisse. Et en Suisse romande, on a cette jeune fille agressée l’année passée par deux autres jeunes filles, parce qu’elle est juive…» Une grande part des cas concerne «des éléments publiés sur les réseaux sociaux, des commentaires de lecteurs et dans le monde digital».

Durant cet échange dans les locaux de l’organisation à Genève, il a aussi été question des tags racistes et antisémites lors des Brandons de Payerne, des échanges controversés entre policiers lausannois ainsi que du refus du Cinéma Bio de Carouge de programmer des œuvres sélectionnées pour le Festival international du film des cultures juives de Genève.

Depuis le 7 octobre 2023 et l’escalade au Moyen-Orient, il y a «un bouleversement très fort… Cette part de ce qu’on appelle le nouvel antisémitisme, qui est l’antisionisme en fait.» Ce sont notamment des citoyens suisses de confession juive qui sont priés de prendre position: «Et à cet égard, les communautés et autres institutions qui composent la Cicad ont été très claires pour expliquer qu’elles n’entendaient pas répondre à cette injonction de devoir se positionner face à la politique israélienne. Et c’est ce qu’elles ont fait depuis deux ans et demi.»

Cet été, la Cicad a été violemment prise à partie. Un texte d’opinion intitulé «Combattre l’antisémitisme», publié dans la Tribune de Genève, s’en prenait en réalité avec une rare virulence à l’organisation, ses activités et son secrétaire général. La Coordination alimenterait l’antisémitisme. Elle se livrerait à un «lobbying politique pro-Israël». Un choix de mots pour le moins délicat et certainement pas innocent.

Ni lien avec l’Etat d’Israël, ni financement de l’Etat d’Israël!

Johanne Gurfinkiel contre-attaque et évoque une «cabale obsessionnelle contre la Cicad» qui est le fait de plusieurs groupes de personnes dont «quelques activistes du milieu politique, culturel» ainsi que des «antisémites qui ont décidé de cibler la Cicad eu égard à la mission qui est la sienne» ou encore «quelques activistes qui considèrent qu’au nom du combat sacro-saint contre Israël, il faudrait dégommer la Cicad.» L’organisation et son secrétaire ont-ils des liens avec l’Etat d’Israël comme le prétendent ses détracteurs? «Non, je n’ai pas de lien avec l’Etat d’Israël. La Cicad n’a pas de lien avec l’Etat d’Israël. La Cicad n’est pas financée par l’Etat d’Israël!»

Johanne Gurfinkiel est convaincu qu’il faut agir autour de trois axes: pédagogique, judiciaire, politique. La Cicad organise régulièrement dans les écoles des ateliers autour de la prévention contre le racisme et l’antisémitisme. Pour le travail de mémoire, elle organise entre autres des voyages d’études à Auschwitz (5200 élèves et enseignants depuis 2001) ou fait entendre les témoignages de rescapés de la Shoah. L’inauguration en septembre de la place Ruth-Fayon, du nom d’une survivante de plusieurs camps de concentration, s’inscrit dans cet engagement. Sur le plan politique, l’interdiction des symboles de haine, notamment nazis, au niveau fédéral est une priorité. Les Genevois ont déjà dit oui à près de 85% en 2024.

La transmission de la mémoire collective est essentielle pour Johanne Gurfinkiel et ne concerne pas que la lutte contre l’antisémitisme: «La disparition des derniers témoins est un enjeu colossal», il s’agit de «transmettre ce qu’a été le génocide de la Shoah […] Si la Shoah avait servi d’exemple, alors nous n’aurions pas eu, par exemple, le génocide du Rwanda.» Bonne écoute!