Une plainte pour diffamation vise le secrétaire de la CICAD
Une plainte pour diffamation vise le secrétaire de la CICAD
Johanne Gurfinkiel qualifie de «Judenrein» les lieux et organisations se déclarant «Apartheid Free Zones». Ces derniers refusent d’être traités de nazis.
«On a des lieux aujourd’hui à Genève ouvertement Judenrein!» Ces propos de Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad), lui valent une plainte pénale pour calomnie et diffamation, envoyée au Ministère public le 14 février. Judenrein est le terme utilisé sous le IIIe Reich pour désigner les lieux «nettoyés de leurs juifs».
Johanne Gurfinkiel a fait cette déclaration le 26 janvier sur Léman Bleu à propos des plus de 100 lieux et organisations culturelles, syndicales, associatives ou commerciales en Suisse romande, dont plus de 60 à Genève, se déclarant Apartheid Free Zones (AFZ). Dont l’Usine, la Cave 12, Unia, Cinélux, etc.
Les participants à cette campagne refusent toute collaboration «avec le régime d’apartheid établi par le gouvernement israélien sur le peuple palestinien». Pour cela, ils boycottent «les entreprises et les institutions gouvernementales et non gouvernementales israéliennes contribuant au maintien d’un régime d’apartheid, ainsi qu’avec les compagnies transnationales qui tirent profit de cette situation illégale».
Sont ainsi refusés «les projets culturels, académiques ou sportifs visant à détourner l’attention du crime d’apartheid».
«Nous ne boycottons pas des personnes»
Mardi, des membres du collectif AFZ Genève ont convoqué la presse au cinéma Spoutnik pour détailler la plainte formulée par quatre individus et une organisation participant à cette campagne. Plaignante, Mary Honderich fait partie de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui organise à Genève les manifestations «AFZ» contre la guerre à Gaza.
Évoquant l’actualité sanglante à Gaza, elle déclare: «Il n’y a rien de juif dans le vol des terres, le génocide, l’apartheid, il n’y a donc rien d’antijuif à se revendiquer AFZ! Nous refusons d’être accusés d’antisémitisme! Nous ne boycottons pas des personnes ou des identités, mais des institutions recevant des financements du gouvernement israélien dans le but de devenir des ambassadeurs d’Israël et de détourner l’attention sur ses crimes.»
Catherine Hess, de l’organisation plaignante «Palestine, filmer c’est exister», explique que ce festival a depuis 2002 projeté des films palestiniens «donnant à voir la réalité de l’apartheid».
«Nous refusons tout film ayant reçu des subventions du Ministère de la culture israélien car elles impliquent de défendre la politique israélienne.»
«Aucun spectateur n’a jamais été empêché de venir», insiste-t-elle. La librairie Fahrenheit 451 non plus ne refuse aucun client et propose de nombreux livres d’auteurs juifs, ajoute une de ses représentantes.
«Une volonté de calomnier»
Clémence Jung, de BDS, relève qu’aucun incident antisémite au sein d’AFZ n’a été rapporté par la Cicad, «ce qui démontre une volonté de nous calomnier de la part de Johanne Gurfinkiel».
La militante ajoute qu’après son intervention, «BDS et AFZ ont reçu des mails haineux et de gens se demandant si leur vie était en danger à cause de notre boycott, l’effet de peur a fonctionné. Nous voulons continuer à organiser des manifestations sans être traités de nazis, c’est immonde!»
Secrétaire politique de BDS, Émilien Clerc complète: «L’antisémitisme est un phénomène réel et dangereux. Pour le combattre, il faut cesser de l’amalgamer aux critiques contre Israël et à l’antisionisme.»
Johanne Gurfinkiel dément traiter quiconque de nazis: «Je dis seulement que leur pratique inique crée un cordon sanitaire discriminatoire autour d’une population, soit les Israéliens juifs, puisque l’AFZ prétend que le «crime d’apartheid» bénéficierait à ces derniers. Nous sommes face à une grosse dérive essentialiste: il ne s’agit pas d’exclure un artiste qui aurait affiché son soutien à la politique d’Israël, comme certains soutiennent Poutine, mais n’importe quelle organisation israélienne, quelle que soit sa sensibilité politique.»
Il poursuit: «Accuser la Cicad de susciter un climat anxiogène est scandaleux! Je ne regrette rien et ne m’excuse pas. On verra si la plainte sera jugée recevable.»
Affaire politisée
L’affaire a par ailleurs été politisée. Le député socialiste Sylvain Thévoz, scandalisé par les propos de Johanne Gurfinkiel, a demandé au Conseil d’État s’il existait des lieux Judenrein. Ce dernier a refusé de commenter «les propos d’un acteur de la société civile».
À la députée PLR Joëlle Fiss lui demandant si les organisations AFZ, dont certaines sont subventionnées par le canton, violaient des lois, le Conseil d’État a répondu qu’il appartenait à la justice de se prononcer mais qu’il ne manquerait pas de rappeler à ces organisations le cadre prohibant la discrimination.
Une rencontre entre des responsables d’AFZ et la magistrate Nathalie Fontanet est agendée au 14 mai.