Assemblée générale 2024 : Discours du Président Laurent Selvi

Assemblée générale 2024 : Discours du Président Laurent Selvi

Au nom de la CICAD je vous remercie de votre présence ce soir à l’occasion de ce diner annuel, devenu un rendez-vous incontournable dans la foulée de notre Assemblée Générale.

 

C’est un moment de convivialité qui nous permet de célébrer le dialogue mutuel et le travail réalisé dans un but commun : celui de faire reculer le préjugé et la haine. Et il me plait de constater le formidable engagement de celles et ceux qui ont permis dans plusieurs cantons romands d’obtenir l’interdiction des symboles de haine. Soyez-en, ici, remercié chaleureusement.

 

Ce moment doit aussi nous permettre de marquer l’année écoulée depuis l’Assemblée précédente.

 

Je pense qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que l’année qui nous sépare de l’Assemblée 2023 n’a été à nulle autre pareille.

 

Cette année a été marquée par une hausse vertigineuse des actes antisémites que nous recensons depuis deux décennies. Le même constat est dressé outre-Sarine, sans parler de notre voisin français où le nombre d’actes a augmenté de 1’000 %.

 

Les douze derniers mois ont aussi été marqué par la tentative de meurtre, en pleine rue, à Zurich, d’un homme de confession juive par son concitoyen suisse de 15 ans.

 

Et pourquoi ? Tout cela parce qu’ un pogrome été perpétré en Israël.  Un pogrome aux dimensions et à la bestialité jamais vue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et que, dans le sillage IMMEDIAT de ce meurtre de masse, nous avons assisté à un déversement de haine ; à la libération d’une parole antisémite outrancière ; à une désinhibition absolue de la judéophobie. Le meurtre en masse de juifs EST la raison de l’augmentation folle des actes, propos et postures antisémites.

 

Chers amis, réfléchissez un instant à ce constat glaçant :  Massacrer des juifs a libéré la haine des juifs – dans un déchainement immédiat et mondial.

 

Rappelons-nous qu’à Genève, le 12 octobre déjà, moins d’une semaine après le massacre perpétré par le Hamas, une manifestation accueillant Hani Ramadan venait inaugurer le travail de négation et de relativisation des actes barbares survenus quelques jours plutôt et pourtant filmés et diffusés sur tous les réseaux jihadistes. Rappelons-nous que dans cette manifestation des chants appelant au meurtre des juifs étaient entonnés.

 

Mais ne nous trompons pas, Le 7 octobre ne marque pas le début d’un nouveau cycle dans l’histoire de l’antisémitisme contemporain. Il marque au contraire la fin d’une longue séquence, une séquence de plusieurs décennies dans laquelle le lent travail de dénigrement et de criminalisation de l’aspiration légitime du peuple juif a disposer d’un foyer national, le sionisme, aura été achevé. Mais surtout une séquence où le juif et le sioniste, colonialiste blanc et donc coupable par définition, le juif et le sioniste, donc, sont indifférenciés dans une essentialisation permanente.

 

Une essentialisation devenue tellement banale qu’elle permet, par exemple, à la direction d’un parti vaudois, le Centre, de refuser de rencontrer la CICAD en raison du conflit en cours entre Israël et le Hamas. La CICAD, une association suisse représentant leurs concitoyens juifs.

 

Il n’y a certainement rien de malveillant, et c’est probablement cela le plus choquant : cette banalité de l’assignation.

 

la même, peut-être, qui conduit un procureur à user de l’existence du droit du retour dans l’ordre juridique israélien pour solliciter la détention préventive d’un suisse à raison de sa religion.

 

la séquence qui s’achève ouvre la suivante, bien plus dangereuse et bien plus complexe,  car elle sera : soit celle d’une prise de conscience collective, politique et citoyenne, des enjeux existentiels qui se posent brutalement à nous ; soit celle d’une démission qui ne pourra avoir que des conséquences funestes. Pour les juifs, mais au final pour tous ceux, comme vous tous ici présents, attachés à l’humanisme, au pluralisme et à l’universalisme, ces valeurs qui protègent toujours nos démocraties du pire.

 

Je ne suis pas un catastrophiste, ni un pessimiste. Je ne l’ai jamais été et je refuse de m’y laisser aller. Je continue à avoir confiance dans la solidité de nos sociétés libérales et de leur principes. Mais je suis réaliste.

 

Le 7 octobre aura libéré dans le monde une pulsion exterminatrice, pour citer un auteur français, mais il aura aussi libéré dans la population juive un sentiment de peur existentielle qu’elle n’avait pas ressenti depuis les années 30.

 

La peur, la terreur même parfois,  qui s’exprime – et qui ne trouve pas encore de réponse à sa hauteur il faut bien le dire – la peur, donc, de toute une population constitue un élément fondamental de l’équation qui nous est posé collectivement. Mais elle n’est pas vraiment comprise et souvent minimisée, probablement parce que confusément exprimée, comprise par ceux qui la ressente par atavisme et justement vécue souvent comme un ressenti.

 

difficile de répondre à un ressenti – difficile pour nos autorités de répondre à un ressenti.

 

Alors, pour essayer de combler ce déficit de compréhension, j’aimerais tenter de vous expliquer le plus exactement possible pourquoi les juifs du monde ont peur. Comme jamais depuis huit décennies, et chez nous également.

 

Le raciste rejette l’autre sur la base de sa couleur de peau

L’homophobe sur la base de l’orientation sexuelle

Le xénophobe sur celle de la provenance

Mais l’antisémite, lui, hait le juif non pas pour ce qu’il est, mais pour le rôle dont il l’affuble à mauvais escient dans l’imaginaire collectif.

Pour que l’antisémitisme se développe, il a besoin impérativement d’une construction narrative qui permette de dénoncer le juif à la vindicte d’une population très souvent aveuglée et manipulée – non pas pour ce qu’il est mais pour ce qu’il est supposé faire.

 

Quelle que soit l’époque, l’antisémitisme a besoin de créer un récit dans lequel le coupable désigné sera le juif – un juif générique qui englobe tout une population sans distinction d’âge, de genre ou d’opinion.

 

Nous, juifs, connaissons cela par cœur, je dirais même que notre mémoire collective est capable de déceler cette fabrication très rapidement – et d’en saisir et le sens et le danger.

 

La population juive exprime aujourd’hui une peur à la mesure de ce qu’elle reconnait comme ce récit qui porte en lui les prémisses d’une menace existentielle. Elle en reconnait les ressorts, les outrances rhétoriques, les accusations mensongères, les amalgames et les inversions accusatoires. Elle reconnait la persistance de ce récit, bâti avec patience depuis longtemps, et que la rencontre avec la pensée décoloniale a dopé.  Elle constate surtout qu’il justifie depuis le 8 octobre déjà les pires discours et actes et violences, et cela dans une apparente impunité. Et elle en conçoit une terreur légitime pour son avenir. Une peur que toute son histoire lui a appris à ressentir – comme un mécanisme de défense.

 

Ce récit c’est évidemment celui de l’illégitimité de l’état d’Israël. Pas celui d’une politique ou d’un gouvernement – celui de l’existence de l’état même – partant, du mouvement politique qui l’a fait exister – partant, du peuple qui le soutient.

L’antisémitisme contemporain assigne le juif au sionisme, mouvement devenu, dans ce récit, ontologiquement criminel.

 

L’antisémite contemporain n’est pas antisémite, il est antisioniste.

Et c’est EXACTEMENT ce qui fut chanté devant l’université de Genève.

 

Pour incarner le bien alors vous devez dénoncer l’existence criminelle de l’Etat d’Israël, sinon vous êtes complices.

Et c’est EXACTEMENT ce que nous avons vécu dans les universités romandes où quelques juifs décoloniaux sont venus conspuer l’exitance même d’Israël.

 

Au Moyen-âge ou sous l’inquisition, on appelait cela les conversions.

 

Le fait que ce récit soit porté et alimenté par une minorité même bruyante ne diminue en rien sa puissance. Ce sont toujours des minorités bruyantes qui finissent par triompher quand nos sociétés ne sont pas assez vigilantes ou ne veulent pas voir.

 

Ma fonction n’est pas de prendre la défense de l’Etat d’Israël et encore moins de son gouvernement, quel qu’il soit. Notre rôle à la CICAD n’est pas de rentrer dans un débat géopolitique sur un conflit hors de nos frontières. Nous ne l’avons jamais fait et nous ne le ferons jamais

 

Notre mission est de combattre l’antisémitisme et de protéger nos concitoyens de confession juive. De les protéger quel que soit la manifestation de cet antisémitisme. Nous restons fermement attachés à la définition qu’en donne l’IHRA et nous continuerons à nous battre avec détermination en faveur d’une société débarrassée des préjugés, d’où qu’ils viennent. Nous ne nous laisserons pas intimider, car face à l’intimidation c’est toujours le renoncement qui permet les pires outrances.

 

Dans cette entreprise citoyenne nous savons pouvoir compter sur toutes celles et ceux qui partagent les mêmes valeurs de tolérance et de refus des discriminations ; de toutes celles et ceux qui refusent de se laisser enfermer dans un débat binaire et sans nuances fait pour attiser les détestations.

 

Mais je suis trop long – votre plat principal attend.

 

Mais chers amis, avant de vous laisser à la suite de votre repas, je voudrais saluer la mémoire de Philippe Grumbach, notre ancien Président et ami très cher qui nous a malheureusement quitté trop tôt. Nous nous rappellerons toujours de son engagement sans failles à la présidence de la CICAD ainsi que de sa pugnacité à combattre les antisémites devant les tribunaux. Philippe était l’exemple même du militant éclairé. Il nous manque.

 

Je voudrais également saluer et remercier les membres de mon Comité qui encadrent le travail de la CICAD et assurent sa direction.

 

Quelques mots également pour saluer le travail de toute notre équipe : Danielle, Isabelle, Karen, Line, Sterna, Meirav, Laurence. Soyez remercié pour votre engagement dans un contexte difficile au sein de la CICAD.

 

Remercier également notre Secrétaire Général, Johanne Gurfinkiel, qui n’économise ni son temps ni ces efforts pour défendre non seulement les juifs de Suisse romande, mais aussi un modèle de société dans lequel la détestation de l’autre ne peut avoir sa place.