Avant les événements du 7-Octobre, l’antisémitisme en Suisse était principalement contenu dans ce que l’on pourrait appeler un cadre «traditionnel». Hérité de l’époque médiévale, il perdurait à travers des stéréotypes profondément enracinés, comme la soi-disant domination de l’économie globalisée par les juifs ou leur implication dans des complots internationaux. Ce discours, bien que mis en retrait après la Seconde Guerre mondiale, avait trouvé refuge dans certains milieux d’extrême droite et parmi les négationnistes de la Shoah. Avec l’avènement des réseaux sociaux, ces thèses se sont amplifiées, atteignant un public beaucoup plus large.
Quand l’antisionisme sert de couverture à l’antisémitisme
Or, depuis le pogrom du 7-Octobre, un nouveau discours plus pernicieux s’est imposé: celui de l’antisionisme, qui sert souvent de couverture pour véhiculer des propos antisémites. Si critiquer Israël et son gouvernement est légitime dans un cadre démocratique, l’antisionisme se transforme en une diabolisation de l’Etat hébreu. Dans notre pays, ce phénomène est visible dans les manifestations pro-palestiniennes, où des slogans appelant à la destruction d’Israël, notamment le très clair «From the river to the sea», sont scandés sans qu’ils soient réprimés.
La distinction entre la critique légitime de la politique israélienne et l’antisémitisme est devenue de plus en plus floue. En novembre 2023, lors d’une manifestation à Lausanne, des pancartes comparant Israël à l’Allemagne nazie ont suscité une vive indignation, accentuant le malaise face à ce mélange constant entre critique politique et haine raciale.
Contrairement aux idées reçues, l’antisémitisme ne se limite plus à une classe sociale ou à un groupe politique spécifique. Il est transversal et touche tous les milieux. Des incidents ont été signalés dans les écoles, où des élèves juifs sont pris pour cible, à travers des insultes et des intimidations. A Genève, en décembre 2023, une fillette de 10 ans a été rouée de coups par trois jeunes filles qui l’accusaient d’être responsable des violences en Palestine en raison de son nom à consonance juive. Ces agressions sont souvent minimisées ou ignorées par les administrations scolaires, qui manquent d’outils pour réagir adéquatement.
Les réseaux sociaux, quant à eux, sont devenus des plateformes de choix pour propager des théories complotistes et des discours de haine. Sur des réseaux comme Twitter et TikTok, des hashtags antisémites et des vidéos glorifiant les attaques du Hamas circulent librement. Le cyberharcèlement à l’encontre des responsables juifs suisses s’est intensifié, certains recevant des menaces de mort et des montages photographiques antisémites.
Une prise de conscience nationale, indispensable
Face à cette montée de l’antisémitisme, la Suisse doit impérativement réagir. Les autorités politiques et la société civile doivent unir leurs forces pour mettre en place des outils de prévention efficaces, notamment dans le cadre scolaire, et pour atteindre une véritable prise de conscience nationale. La formation des enseignants sur l’identification et la gestion des incidents antisémites est cruciale, mais malheureusement insuffisante.
De même, la lutte contre l’antisémitisme passe par des mesures législatives. En mars 2024, le canton de Fribourg a adopté une loi interdisant l’utilisation des symboles nazis dans l’espace public, une première en Suisse. Genève et Vaud ont suivi en juin. Cette avancée est significative, mais elle ne suffit pas. La Suisse doit adopter des lois plus strictes contre les discours haineux, y compris ceux qui se cachent sous le masque de l’antisionisme. Ces mesures doivent être accompagnées de campagnes de sensibilisation sur les dangers de l’antisémitisme.
Les médias ont également un rôle crucial à jouer. Trop souvent, des commentateurs politiques et des journalistes banalisent des propos antisémites sous le couvert de critiques politiques. Il est essentiel que ces professionnels soient formés à faire la distinction entre une critique légitime et un discours de haine. Les rédactions doivent assumer leur responsabilité en adoptant des lignes éditoriales claires et en condamnant fermement toute forme d’antisémitisme. Il en va de même pour certains courriers ou commentaires de lecteurs dont la modération reste totalement insatisfaisante.
L’antisémitisme n’est pas un phénomène isolé. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de montée des extrémismes en Europe, où la xénophobie et le racisme en général gagnent du terrain. La Suisse, bien qu’ayant une tradition de neutralité et de tolérance, n’est pas épargnée par ces dérives. Les campagnes de sensibilisation doivent être intensifiées pour alerter sur les dangers de la haine raciale et encourager un dialogue constructif.
Il ne suffit plus de condamner les actes après coup, il faut s’attaquer à leurs racines. L’antisémitisme est une menace pour notre cohésion sociale et nos valeurs démocratiques. Il est de notre responsabilité collective de ne pas laisser cette haine prospérer.