Juif agressé au couteau à Zurich: «Cette attaque aurait dû générer un sursaut national», clame Johanne Gurfinkiel

Juif agressé au couteau à Zurich: «Cette attaque aurait dû générer un sursaut national», clame Johanne Gurfinkiel

Après l’agression d’un Juif à Zurich samedi soir, le secrétaire général de la CICAD s’attendait à de vives réactions politiques et médiatiques. Mais elles n’ont pas eu lieu et ce constat l’inquiète. Il appelle désormais à mettre en place un plan national de lutte contre l’antisémitisme. Interview.

 

Samedi soir, un Juif orthodoxe de 50 ans a été grièvement blessé à l’arme blanche dans les rues de Zurich. Son assaillant présumé a revendiqué son acte dans une vidéo diffusée en ligne, dans laquelle il appelle à mener un «combat mondial contre les Juifs».

Si l’agression a ébranlé la communauté juive de Suisse, elle aurait aussi dû susciter un «sursaut national», estime Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), qui regrette le manque de réactions des autorités et des médias.

Car d’après lui, cette attaque n’est pas un simple fait divers, mais un «coup de poignard aux valeurs nationales helvétiques». Le Genevois appelle désormais à prendre des mesures urgentes pour lutter contre la montée de l’antisémitisme dans le pays. Et pas seulement des mesures sécuritaires. Interview.

Johanne Gurfinkiel, pensiez-vous qu’une telle agression était possible en Suisse?

Nous le craignions fortement. Car depuis plusieurs années, nous observons une hausse massive des actes antisémites en Suisse, qui ont encore explosé après le 7 octobre et le début du conflit entre Israël et le Hamas. Rien qu’en 2023, nous en avons recensé près de 1000 en Suisse romande, soit une augmentation de 68% par rapport à l’année précédente.

Cette recrudescence s’est exprimée à travers des publications sur les réseaux sociaux, mais aussi par des graffitis, des déprédations ou des agressions verbales, soit des modes opératoires toujours plus agressifs. La question n’était donc plus tellement de savoir si un tel événement allait se produire, mais plutôt quand il surviendrait.

 

Dans un communiqué diffusé lundi, la Cicad regrette le «silence assourdissant» et le «manque de réactivité» des autorités, milieux politiques et médias. Vous espériez quelle réponse?

A mes yeux, cette actualité aurait dû faire la une de tous les médias nationaux dès le lendemain. Le fait que cela n’ait pas été le cas interroge. Car il ne s’agit pas d’un fait divers, mais d’une attaque antisémite claire.

Le fait qu’un tel événement n’a pas généré de sursaut national est un vrai problème, parce qu’il met en lumière un manque de conscience de la gravité de la situation. Or, cet épisode n’est que la pointe émergée de l’iceberg: si les Juifs sont identifiés comme des cibles privilégiées par des personnes affiliées à des groupes de terrorisme islamiste, ils ne seront pas les seuls visés. N’importe quel citoyen suisse pourrait être le suivant.

Comment expliquez-vous la tiédeur des réactions?

L’engagement contre l’antisémitisme est miné par la guerre entre Israël et le Hamas, comme si condamner certains actes commis en Suisse revenait à prendre une position sur ce conflit. Or, s’engager pour une cause au niveau international – que cela soit en faveur de la Palestine ou d’Israël – ne devrait pas empêcher de s’inquiéter pour la sécurité de certains citoyens du pays. Nous refusons cette essentialisation alimentée par les habituels amalgames.

La Présidente de la Confédération, Viola Ahmerd, s’est déclarée «choquée» sur X (ex-Twitter) lundi et a déclaré que «l’antisémitisme n’avait pas sa place en Suisse». Ce n’est pas suffisant?

La plupart des réactions à chaud se sont contentées d’exprimer leur solidarité ou de condamner l’acte. Nous attendons désormais des mesures plus concrètes: par exemple que la présidente de la Confédération convoque une réunion d’urgence avec les représentants des milieux concernés pour connaître leurs attentes et leurs propositions.

Barricader les synagogues n’empêchera pas le harcèlement à l’école ni les agressions. Pour preuve, à Zurich, l’homme a été attaqué en pleine rue.
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad

A nos yeux, les paroles ne suffisent plus, il faut passer à l’action et proposer un plan d’action national. Ce dernier devrait se construire en collaboration avec la société civile, car elle possède l’expertise nécessaire sur le sujet.

 

Quelles mesures devraient être prises d’après vous?

Jusqu’à présent, il n’a pratiquement été question que de moyens supplémentaires alloués à la sécurité des communautés juives. Si de telles mesures sont effectivement nécessaires, elles sont largement insuffisantes. Barricader les synagogues n’empêchera pas le harcèlement à l’école ni les agressions. Pour preuve, à Zurich, l’homme a été attaqué en pleine rue.

Nous considérons qu’il faudrait investir davantage de moyens dans la prévention et la sensibilisation, que cela soit dans les administrations, dans les milieux politiques et naturellement à l’école.

Concrètement, cela signifierait quoi?

Cela impliquerait, par exemple, d’introduire à l’école des modules spécifiques consacrés aux grandes questions sociétales actuelles, comme l’antiracisme, l’homophobie, le sexisme et l’antisémitisme. Une telle démarche ne représenterait pas un travail colossal, mais résoudrait déjà un certain nombre de dérives.

Il n’est pas question ici de nous faire une faveur, mais de s’engager pour le futur de notre société: il s’agirait d’une démarche pédagogique, pas militante.

Si de telles mesures avaient été mises en place par le passé, l’agression de samedi aurait-elle pu être évitée?

Au vu des motivations de l’agresseur et de son degré de radicalisation, je ne pense pas. C’est un cas extrême. Quand un adolescent décide de prendre un couteau pour aller tuer un Juif, cela m’étonnerait qu’une discussion ouverte sur l’antisémitisme puisse exercer une quelconque influence sur son mode de pensée.

Mais de telles discussions préventives pourraient permettre d’éviter de nombreux autres cas d’antisémitisme, qui n’impliquent pas des personnes radicalisées, mais qui pourraient eux aussi dériver vers des situations tragiques.